Chapitre 15: Une partie de la vérité
Le lendemain matin, le jeune duc d'Altamira se réveilla avec un mal de crâne horrible. Il avait l'impression qu'on avait passé son corps à tabac. Mais il ne pouvait pas se permettre de dormir, il avait encore trop de travail pour cela. Il essaya de se lever, sans grand succès. Yuan entrait dans la pièce au moment même où Kratos tentait de sortir de son lit.
-Kratos Aurion, essaye encore une fois de te lever alors que tu es malade et je te ligote à même le lit! Dit Yuan en tentant d'être un tant soit peu menaçant sans franc succès.
-Oui Papa. Plaisanta le malade
-Je n'ai pas l'honneur d'être ton père, je suis ton amoureux. Répliqua le métis
-Hein?
-Deux.
-Trois, j'ai gagné!
Non, il avait du mal entendre. Ou alors Yuan lui faisait une blague. Une bien acide selon lui, il ne savait toujours pas si son amour pour lui était réciproque et le fait qu'ils avaient eu une liaison un après-midi ne signifiait rien. Il sentait des larmes lui piquer les yeux et Yuan réalisa qu'il avait été maladroit. Kratos ignorait ce qu'il ressentait à son égard.
-Ne pleure pas, je suis désolé, je ne voulais pas te blesser. J'aurais du te l'annoncer de manière plus délicate.
-M'annoncer quoi de manière plus délicate?
Le demi-elfe serra l'humain contre lui et le laissa se calmer un peu.
- Tu veux vraiment savoir pourquoi j'ai dit ça, Kratos?
Mouvement affirmatif de la tête de la part du concerné.
-Parce que je t'aime. Je t'aime vraiment. Je veux être pour toujours à tes côtés et il n'y a qu'auprès de toi que je me sens vraiment moi, vraiment vivant.
Yuan sentit Kratos sursauter à l'annonce de cette nouvelle. L'humain avait du mal à croire ce que son ami venait de lui dire. Il l'aimait? Il l'aimait d'amour?
-Tu te moques de moi, c'est ça?
-Je ne me le permettrai pas. Je t'aime Kratos, de quelle preuve as-tu besoin pour que tu me croies?
L'humain ne répondit pas. Il n'arrivait pas à réaliser. Yuan l'aimait, il l'aimait de la même manière que lui l'aimait.
-Tu m'aimes?
-Je viens de te le dire Kratos.
Le demi-elfe captura avec douceur ses lèvres dans un baiser à la fois chaste et tendre. Kratos eut la confirmation que Yuan ne mentait pas. Toute la peine qu'il avait accumulé depuis qu'il avait réalisé qu'il aimait l'enfant des Minaria s'envola avec cette pensée. Yuan l'aimait.
-Tu te rappelles quand tu m'avais soigné à Meltokio? Aujourd'hui, c'est à mon tour de te soigner.
-Mais j'ai du travail à faire.
-Wolf et moi, nous nous en chargeons.
-Et Lloyd?
-Anna le chouchoute, comme à son habitude. Quand tu iras un peu mieux, on te l'amènera. Ne cherche pas d'échappatoire, il n'y en a pas.
Yuan fut donc le garde-malade de Kratos le temps de sa convalescence. Cependant, il en manquait jamais d'aller parler à Lloyd. Il lui disait toujours:
-Ton grand-frère va mieux aujourd'hui. Tu lui manques, dès qu'il sera guéri, il viendra te voir.
Mais un jour, après lui avoir sorti sa phrase habituelle, Yuan sentit une toute petite main serrer son petit doigt. Le bébé lui tendait les bras. Que faire? Il était vrai que Yuan adorait Lloyd mais il n'était pas habitué aux bébés. Donner un biberon ou changer des langes, il savait mais prendre véritablement un enfant si jeune dans ses bras...Il avait peur de lui faire mal. Cependant, le petit était si mignon, il ne pouvait décemment pas lui ôter ce plaisir. Il surmonta sa première appréhension et prit Lloyd dans ses bras.
-Bon, maintenant que t'es là, on va voir Kratos? Il va beaucoup mieux, tu sais.
Lloyd émit un léger gazouillement qui eut pour effet de faire sourire le métis.
Quand Yuan entra dans la chambre de Kratos, le jeune malade était assis dans son lit, lisant tranquillement. Son visage s'éclaira à la vue de ses deux visiteurs.
- Regarde Lloyd, tu as bien vu que je ne mentais pas.
Yuan s'approcha et Kratos prit son jeune frère dans ses bras. Comme ce contact lui avait manqué! Le demi-elfe se prit à rêver ce qu'aurait été sa vie si lui-même avait eu un petit frère ou une petite sœur, ou même les deux. Il aurait joué avec le petit et fait des couettes à la demoiselle. Mais ce beau rêve ne se réaliserait jamais. Sa mère était morte. Peut-être que son père avait refait sa vie. S'il voulait le savoir, il lui fallait le retrouver mais rien depuis la première lettre de Madame Mils n'était arrivé. Comme pour contrer cette vérité, Anna apporta à Yuan une lettre. La suite des aventures de Reyson Ka-Fai.
Votre Altesse
Je vous prie de pardonner votre bien piètre servante qui vous a fait attendre.
Cependant, avant que je ne me lance dans la suite des aventures de Sa Majesté, je tenais à présenter mes sincères condoléances à Monsieur le duc d'Altamira, ainsi que mes meilleurs vœux pour sa prise de pouvoir et pour son petit frère.
La dernière fois, je m'étais arrêtée aux quinze ans de Sa Majesté.
Nous commencerons donc ici.
A quinze ans, Reyson apprit que son père l'avait fiancé à une jeune noble, la fille du Pontife de Tésséha'lla, Mademoiselle Marianne de Méthy, destinée à devenir plus tard la tenancière du pensionnat dans lequel vous avez travaillé.
La directrice, fiancée à son père?! Yuan n'en croyait pas ses yeux! Pourtant, il lui semblait qu'elle ne s'était jamais mariée et qu'elle n'avait pas d'enfants. Son père l'aurait donc quitté? Mais...Elle avait parlé de fiançailles brisées, un jour, quand il était allé cherché Reyson pour aider Kratos! Elle et lui auraient été fiancés un jour mais il avait brisé les fiançailles. De plus, il connaissait sa mère et de dos, il ressemblait trait pour trait à l'homme qui était dans ses visions. Cette sensation qu'il avait eu quand il l'avait rencontré...C'était lui...Le Reyson du cimetière de Meltokio était en réalité son père! Et à tout les coups, le pseudonyme dont parlait l'autre garce, c'était Gabriel Théodore. Le fameux médecin à qui il devait la vie, c'était également lui!
La directrice savait! Elle savait qui il était et elle s'était vengée sur lui! Il sentit une vague de colère l'envahir. Il ne savait pas s'il ressemblait plus à son père ou à sa mère mais il savait qu'il n'était pas eux, il n'avait rien à voir dans l'histoire
Cette histoire de fiançailles déplaisait fortement à Reyson. Marianne était son parfait opposé, il ne l'aimait pas. Il ne voyait en elle qu'une amie. Il était déjà tombé sous le charme d'une jeune fille de son âge venue d'Heimdall. Madame votre mère, à l'époque Mademoiselle Nayru Thècle, Oracle du temps.
Reyson demanda à son père de rompre ses fiançailles qui le liaient à Marianne de Méthy pour le fiancer à Nayru. Elle était de haute lignée, plus haute même que celle de sa fiancée et il l'aimait. Argument de poids pour la conception d'un enfant car si un homme n'aime pas sa femme, la venue d'un bébé peut être rendue difficile. Mais il eut beau faire, le roi ne céda pas. Il voulait un mariage entre la famille pontificale et la sienne. Reyson argumenta en précisant que Rafiel pouvait très bien l'épouser, d'autant plus qu'il en était amoureux fou.
-Mon fils, assez de discussions, vous devez vous sacrifier pour l'intérêt de la famille Ka-Fai, je l'exige.
Le malheureux prince versa bien des larmes. Quand Marianne venait pour les représentations officielles, il était courtois avec elle mais ne lui adressait la parole que si il en avait besoin ou si elle lui posait une question. Le roi lui en tint rigueur. A la Cour, Reyson était très mal vu. Ce n'était plus un rebelle adolescent à qui on pouvait pardonner sa quête et ses questionnements, c'était un renégat qui faisait le malheur de son père. Au sein de la famille, l'ambiance était tendue. Rafiel reprochait à Reyson son manque d'entrain envers sa promise bien qu'il l'eut remercié, en secret, d'avoir tout tenté pour que se fusse lui l'époux de Marianne. Lillia était complètement d'accord avec son père. Leanne fut la seule qui était réellement affirmée comme étant du côté de Reyson. Elle-même n'aimait pas Marianne. Elle la trouvait bien trop frivole et hautaine envers le petit peuple à l'inverse de Nayru. Selon la jeune princesse, Nayru était bien plus digne d'entrer dans la famille royale que Marianne.
Le prince Reyson vouait une profonde affection pour Leanne, qui le lui rendait bien.
Le mariage princier fut fixé pour les dix-huit ans de Reyson.
Malheureusement, le roi de Tésséha'lla craignait le peuple Minaria et il fit raser le pays entier. Seuls Reyson, Wolf et quelques habitants dont moi-même survécurent à ce massacre pur et simple. Le prince était effondré. Il avait alors dix-huit ans. Il rompit ses fiançailles et décida d'épouser Nayru, puisque rien ne pouvait plus l'en empêcher. Ils s'installèrent à Heimdall. Trois ans plus tard, vous veniez au monde. Le prince Reyson ne semblait heureux qu'auprès de sa femme et de vous. Heimdall étant hostile aux demi-elfes, vous partiez pour Meltokio. Malheureusement le roi eut vent de votre naissance et ce fut ainsi que Sa Majesté Nayru fut séparée de son époux, qui m'avait confié ce qu'il avait de plus précieux: sa famille. Je n'eus plus aucune nouvelle du prince et on fit croire qu'il n'y avait plus aucun survivant du peuple de Minaria à la mort de votre mère, tuée sur ordre du roi.
C'est là tout l'histoire du peuple de Minaria, Votre Altesse. Il fut néanmoins vengé par le peuple de Tésséha'lla, scandalisé par cette violence gratuite, ce qui fit perdre sa couronne au sanguinaire et permit à un roi plus pacifiste de prendre le pouvoir.
Votre Altesse, je suis et je serai à jamais votre éternelle servante
Roselyne A.Mils
Il fallut un peu de temps à Yuan pour assimiler ce qu'il venait de réaliser et d'apprendre. Kratos lui remarqua un air qu'il ne lui avait encore jamais vu. Un mélange de détermination, de tristesse mais aussi...de colère? Il pria le demi-elfe de lui raconter ce qui le minait. Alors Yuan lui raconta tout. Ses révélations, ses déductions, ses nouvelles envies...Il lui demanda s'il avait un portrait de Gabriel. Kratos lui montra. Le cœur du métis fit un bond. C'était bel et bien Reyson. Le Reyson du
cimetière. Le Reyson qui avait aidé Kratos. Le Reyson qui lui avait sauvé la vie. Savait-il qu'il allait sauver son fils de son ex-fiancée? Il compara ce portrait à celui que Madame Mils lui avait fait parvenir. Aucun doute possible, c'était lui. Yuan avait du mal à réaliser qu'il venait de retrouver son père et mieux encore, il vivait.
-Kratos, j'ai du travail à faire mais puis-je le faire ici? Je ne voudrais pas te laisser seul.
-Bien sûr, mais je n'aurais pas été seul, Lloyd aurait été avec moi. Tu veux envoyer des lettres?
-Oui, dont une bien corsée à cette chère Marianne de Méthy. Fille de Pontife ou pas, je vais lui sonner les clochettes à celle-là. On ne s'en prend pas à un jeune homme juste pour se venger de son père et on s'en prend encore moins au prince héritier de Minaria.
Kratos ne put s'empêcher de sourire. Yuan commençait à avoir cette légère fierté due à sa condition sans pour autant oublier ce qu'était la misère de la roture. Et puis, allumer par lettre cette satanée et satanique Méthy, Kratos trouvait cela jouissif à souhait.
-Surtout, tout en restant poli, lâche toi, Yuan.
-Oui mais d'abord, j'écris à Madame Mils, la Méthy sera la dernière à qui j'écrirai. Je préfère une vieille femme du peuple à une fille de Pontife, voilà qui ferait jaser si cela se savait.
Le jeune homme se mit à l'ouvrage tandis que Kratos jouait paisiblement avec Lloyd avant d'être assailli par une quinte de toux. Aussitôt, Yuan arrêta et alla vers son amoureux.
-Vas-y mollo, tu es encore malade. Certes, moins, beaucoup moins mais quand même.
Kratos sentit une petite main sur la sienne et vit deux grands yeux chocolat le fixer. Lloyd était encore trop petit pour comprendre ce qui arrivait à Kratos mais il n'était pas pour autant stupide. Il avait senti que son grand-frère avait mal.
Une fois assuré que Kratos allait bien, Yuan se remit au travail.
Chère Madame Mils
Je tenais à vous remercier personnellement de votre travail. Vous avez comblé toutes mes attentes et même au-delà de mes espérances. Quel étrange destin que celui de mon père. Je sais qui il est et où il est désormais. Mais je pense que vous le savez déjà. Vous l'avez sans doute reconnu le jour où nous nous sommes retrouvés en allant au cimetière pour honorer ma pauvre maman.
Je voulais aussi vous remercier de tout ce que vous avez fait pour notre famille.
Je n'oublierai jamais votre dévouement pour notre clan et je n'oublierai jamais votre gentillesse à mon égard. Je ne puis malheureusement pas encore vous remercier comme il se doit, cette lettre est à la fois une lettre de remerciement et d'excuse, mais cela n'est que partie remise.
Je vous envoie mes meilleurs sentiments
Yuan Ka-Fai de Minaria
Le jeune homme cacheta la première lettre avant de demander l'adresse de «Gabriel» à Kratos.
Monsieur mon très cher père
Non, vous ne rêvez pas. Je sais qui vous êtes, j'ai deviné qui vous étiez sous ce pseudonyme. Mon cher père...Je...Je n'arrive pas à croire que vous êtes en vie! Plus le temps passait, plus je perdais espoir de vous retrouver enfin. Quelle drôle d'histoire que la notre! Mon père, sachez que chaque pas que j'ai fait depuis que j'ai appris votre existence était dans le but de vous retrouver, je voulais me rapprocher de vous, vous connaître pour me connaître. Je voulais apprendre à vous aimer. Je voudrais vous revoir. Wolf, qui est resté à Altamira depuis dix-huit ans aussi. S'il vous plaît mon père, venez à Altamira chez mon ami Kratos avec Madame Mils. Rien ne me causerait de plus grande joie.
Maintenant que je vous sais vivant, je ne peux plus m'empêcher de penser au jour de nos retrouvailles, de vraies retrouvailles, pas comme celle du cimetière.
Madame Mils m'a raconté votre passé. Étrangement, c'était exactement l'idée que je me faisais de vous. J'ai hâte de pouvoir parler de cela avec vous.
J'ai l'honneur d'être votre enfant
Yuan
Enfin vint la lettre à la Méthy.
Mademoiselle
Il était bien malavisé à vous de me traiter comme vous le fûtes. Je suis maintenant ce que j'aurais toujours du être et croyez bien que votre personne égoïste, froide, frustrée et pathétique ne provoque en moi que du dégout. Vous n'avez plus aucun pouvoir, le seul que vous avez est sur cette pension minable.
Plutôt que de me faire du mal, il aurait mieux valut me traiter correctement si vous vouliez vous attirer les faveurs du Roi mon père. Tant pis.
J'ai pour projet de récupérer mon trône et je sais que j y arriverai
Sachez que je ferai savoir quel genre de créature misérable vous êtes. Vous perdrez crédibilité devant toute la Cour du Roi de Tésséha'lla, favorable aux Minaria. Vous serez socialement morte. Le jouet ne sera plus jamais un jouet. Tel est pris qui croyait prendre.
Je ne vous salue point, une personne de mon rang n'a pas à le faire pour des gens comme vous. On ne salue guère un chien. Je vous ai fait la faveur de vous écrire. Gardez bien cette lettre, elle sera la seule que vous aurez de moi. Vous voulez mon pardon? Pourquoi? Parce que cela est écrit dans les enseignements de Mana? Il me semble que vous les avez assez bafoués comme ça. Il est trop tard maintenant. Avant j'aurai pu vous pardonner. Plus maintenant.
On ne s'en prend jamais impunément aux innocents.
Adieu Madame, puissiez vous vivre longtemps, bien, en bonne santé mais assez malheureuse d'esprit pour pouvoir vous repentir de vos pêchés.
J'ai l'honneur d'être etc
Yuan Ka-Fai, Prince héritier de la couronne de Minaria
-Cela sera ma seule vengeance, Marianne, tu t'en tires à bon compte. J'aurais pu être plus cruel encore.
Yuan envoya toutes ses lettres. Deux semaines plus tard, son vœu le plus cher se réalisait. Son père avait tombé le masque et lui avait écrit qu'il était en route pour Altamira.
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