" Ca vous dirait un p'tit Kratos et une p'tite Pré-Pré en choco ?
D'ailleurs, ils ont l'air d'être bien embarassés: Préséa qui tombe et
Kratos qui n'a pas l'air de bien aimer son costume XD. Mais bon, que
ne ferions-nous pas pour souhaiter...Joyeuses Pâques ! ^^ (Vive la
chasse aux oeufs ! XD)"
Tesséha’lla, Ozette, Musée National de la Réunification…
Le Demi Elfe s’arrêta devant un mur où
s’étalait le descriptif des quatre Anges du Cruxis. Yuan…Un sourire s’étira sur ses lèvres. A ses côtés, Hellen, une
jeune femme qui travaillait pour lui, jouait distraitement avec une mèche
blonde ayant échappé à sa longue natte qui dépassait de son bonnet. Yuan
n’avait pris que quatre hommes de plus avec lui, ce serait amplement suffisant.
La première, Hellen, était habillée en étudiante : bonnet à pompon,
collants noirs, jupe de laine courte, … Bien qu’elle ait dépassé la vingtaine,
le costume lui allait comme un gant. Quand à Jonathan et Clev, ils observaient
avec grande attention des débris d’exsphères appartenant autrefois à des
Desians.
- Qu’est-ce
qui te fais rire ? Demanda Hellen, sa voix sérieuse contrastant vivement
avec la douceur qu’elle dégageait.
Yuan montra
du doigt la représentation approximative que des artistes avaient faite de lui.
- Tu
trouves que je ressemble à cette chose ?
La jeune
femme braqua sur lui ses yeux céruléens puis eut une mimique amusée.
- Eh bien…
Vu sous cet angle, j’avoue que la ressemblance n’est pas frappante. Mais d’un
autre point de vue, les peintres t’ont imaginé terrifiant alors… Je suppose que
c’est la cause de tous ces muscles disproportionnés… Et de ces étranges cornes
qui te sortent du crâne.
- Et je ne
suis pas chauve, ajouta-t-il à la liste.
Ils
échangèrent un sourire complice.
- Chef ?
Demanda quelqu’un dans leurs oreillettes.
C’était
Ygra, le quatrième compagnon. Le jeune Elfe était devant la prison. Au centre de la pièce, il y
avait un énorme cube de pierre noire, d’une hauteur de trois mètres et d’une
largeur identique. Sur chaque face, sur chaque centimètre carré étaient
inscrites d’anciennes runes destinées à retenir une puissance inhumaine…
L’objet semblait absorber la lumière de la pièce et une aura étrange
l’entourait. « C’est chose est une abomination… » Pensa Yuan.
- On t’écoute,
confirma Hellen assez bas pour que les visiteurs ne les entendent pas.
- Bon, j’ai
préparé le sort. L’explosion devrait être assez puissante pour détruire le bloc
mais je ne peux pas garantir que l’Ange ne sera pas blessé, ni les autres
personnes.
- On fera
avec, il n’y a pas d’autre solution, dit Yuan.
- Tout le
monde est prêt ? Demanda Hellen.
- Prêt,
lança Jonathan.
- Prêt,
confirma Clev.
- Prêt.
A la base de son cou, le cristal du Cruxis
de l’Ange se mit à briller et l’exsphère sur la main d’Hellen fit de même. Au
centre de la pièce, des runes luirent sur la face de la prison sur laquelle
Ygra se concentrait. Et soudain, la détonation retentit. Le sol trembla et les
visiteurs courraient vers la sortie. Mais au milieu de ce tumulte de pierre et
de poussière, Yuan et Clev, un humain d’une carrure impressionnante, se
précipitaient vers le cube noir dans lequel se dessinait un énorme trou alors
que Hellen et Jonathan, le frère de Clev, surveillaient l’entrée pendant
qu’Ygra leur préparait une évasion par les sous-sols. A peine quelques secondes
plus tard, Yuan sortit, suivit de Clev qui portait un corps inerte sur son dos.
-
Ygra ! Hurla l’Ange.
-
Explosion !
Quand les
flammes du sort disparurent, ils se laissèrent tomber quelques niveaux plus bas.
- Allez, on
y va ! Les exhorta Yuan alors qu’ils se mettaient à courir dans
l’obscurité.
Base
renégate de Flanoir…
Bip…
Bip… Bip… Le son
répétitif s’immisçait dans sa tête. Bip…
Bip… Bip… Le bruit ne s’arrêtait pas. Il n’y avait rien d’autre. Bip... Bip… Bip… Ses paupières, il
devait ouvrir ses paupières. Un peu de concentration lui permit seulement de
remuer le bout des doigts. Où était-il ? Depuis combien de temps
était-il… ? Est-ce que… ? Il inspira profondément, soulevant son
torse, avant d’expirer en une sorte de gémissement. Fff… Clap, clap, clap, clap, clap… Fff… Deux personnes venaient
d’entrer dans la pièce. Il tendit ses sens pour capter leurs murmures.
- On dirait que nous avons évité de gros ennuis, dit une
voix féminine.
L’autre soupira, c’était un homme. Il était certain de
connaître son odeur si familière.
- Mais maintenant, nous avons l’autorisation du sénat pour
le réhabiliter. De toute façon, l’histoire est devenue une légende et la
légende est devenue un conte pour gamins. Tant qu’il ne cause pas de problèmes,
il vivra.
Il fut soudainement assaillit de souvenirs : une
guerre, deux mondes, une planète solitaire, … Lentement, sa mémoire se
remettait en place, classant soigneusement les événements dans le bon ordre,
lui rappelant les moindres détails. Un autre gémissement lui échappa et les
deux autres cessèrent de chuchoter.
- Il se réveille déjà ? S’alarma la jeune femme.
- Vérifie les scans et appelle quelqu’un.
- Très bien.
La femme quitta la pièce.
- Laisse-moi deviner, dit-il à l’homme restant dont il se
souvenait désormais, plus ou moins un mètre quatre-vingt, des yeux cyan, des
cheveux bleus, et, à en juger par le bruit que font tes chaussures, tu es plus
un chat de salon qu’autre chose. Mh… Yuan, pas vrai ?
L’Ange ne lui répondit que par un ricanement suivit un coup
de pied sur le lit où il était allongé.
- Tu reviens d’entre les morts après un millénaire et c’est
la seule chose que tu trouves à dire ? Charmant, ironisa le Demi Elfe.
- Mon vieil ami, pourrais-tu m’aider à ouvrir les
yeux ? Demanda-t-il, étonné d’entendre sa voix si rauque.
- Bien sûr, mon vieil ami.
Il s’approcha et Kratos sentit des doigts se poser sur ses
paupières. Lentement, la lumière atteignit ses yeux. Ils étaient dans une chambre. Les murs
étaient métalliques et deux fauteuils étaient disposés autour d’une table
devant une fenêtre aux rideaux tirés. A côté de lui, un moniteur contrôlait son
rythme cardiaque avec des petits « bips » incessants. Yuan le
regardait, une ride de scepticisme barrant son front. Mais un sourire moqueur
remplaça vite son inquiétude.
- N’empêche, je préfère être un chat de salon, boire de bons
alcools et rencontrer des femmes intéressantes que d’être un vieux loup
décharné à l’humour dépassé.
Kratos leva les yeux au ciel, la bonne humeur planant sur
son visage.
- Je n’aurais jamais pensé dire ça un jour mais je dois
avouer que tu m’as manqué, lança-t-il dans l’humeur générale.
- Je t’en prie, ne me force pas à te rendre à la pareille,
railla le Demi Elfe en dégageant une mèche bleue de son visage avec une
élégance exagérée.
Ils laissèrent planer un silence léger. Prenant appui sur
ses coudes, le mercenaire se redressa assez pour pouvoir parler face à Yuan. Il
marqua une hésitation puis aborda enfin le sujet qui, sans qu’il ne le sache,
tordait les entrailles de son ami.
- Yuan… Lors du procès, j’ai vu que tu avais donné un
cristal à Lloyd. Où est-il ?...
Le concerné tiqua et un voile glacé remplaça la bonne humeur
sur son visage. Lentement, il rapprocha un des fauteuils du lit et s’y assit
presque douloureusement. La tête baissée, il respira à profondément avant de
lever les yeux vers Kratos.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Tu as entendu, au procès, que Lloyd devait être placé dans
une famille.
- Oui.
- Les premières personnes à avoir obtenu la garde ont été
Zélos et Sheena, ils ont du se battre une année entière pour y arriver. Après,
il y en a eu d’autres, tu sais, avoir un héros dans sa famille est devenu une
sorte de marque de prestige. Enfin… Nous nous sommes toujours arrangés pour
garder un œil sur lui. Ca fait quelques temps que nous n’avions plus eu aucune
nouvelle alors j’ai contacté sa famille actuelle. Il avait été placé là en
urgence parce que ses précédents parents
pratiquaient la magie noire. Ils ne nous ont pas répondu et quand nous sommes
allés sur place, ils étaient morts…
- Et Lloyd ?
- Pas une seule trace de lui. Mais vu l’état des cadavres,
son ancienne famille est venue le récupérer…
- Tu veux dire qu’il est entre les mains de mages
noirs ?! S’alarma le mercenaire.
- Oui, et…
Kratos arracha rageusement les fils accrochés à son corps et
repoussa la couverture pour se lever.
- Kratos ! Tu n’es pas encore en état… Soupira Yuan.
Ignorant ses mises en garde, il posa les pieds sur le sol.
Mais sitôt debout, il chancela dangereusement et sentit la pièce tournoyer. Le
Demi Elfe lui bloqua les épaules sur le lit et il vit des étoiles danser devant
ses yeux, trop faible pour lui résister.
- Laisse-moi, grommela-t-il avec peine, Lloyd est un Ange,
tu sais tout ce que ces ordures sont capables de lui faire…
- Je sais, mais de toute façon, nous ne savons pas où ils
sont en ce moment et te tuer ne l’aidera pas.
La porte coulissa
et la jeune femme qu’il avait entendue entra dans la pièce. Elle portait une
chemise blanche et un pantalon gris poussé dans de fines bottes noires laquées.
A son bras, elle tenait une veste sombre d’aspect militaire. Son visage était
fin et harmonieux, encadré de quelques mèches blondes échappées d’une longue
natte. Elle étudia Kratos de ses yeux céruléens.
- Kratos, je te présente Hellen, mon assistante. Elle a
aussi participé à ta libération.
Le mercenaire la salua d’un hochement de tête, elle-même lui
rendant la pareille.
Yuan saisit une
ceinture de cuir pendant au lit et entreprit d’entraver les poignets de son ami
alors que la jeune femme s’occupait de ses chevilles.
- Ce n’est que par pure précaution, expliqua le Demi Elfe,
même si tu as été légalement réhabilité, le pays est encore en état d’alerte.
L’Etat a affirmé qu’il n’y avait jamais rien eu dans la prison et qu’un groupe
anti-réunification l’avait fait explosé pour son symbolisme. De plus, je suis
certain que si je te demandais de ne pas partir à la recherche de Lloyd, tu ne
m’écouterais pas.
Kratos ne dit rien mais approuva, quoique rageur de ne
pouvoir se lancer à la poursuite des mages noirs. Le Demi Elfe et la jeune
femme quittèrent la pièce. Mais avant même que l’autre Ange ait pu soupirer,
celui aux cheveux bleus passa sa tête par la porte.
- Pas bouger, gronda-t-il, pointant sévèrement son index
vers lui.
Puis il repartit, laissant Kratos seul face à mille ans d’un
noir absolu.
Kratos prit un
poignard et le mit dans sa botte. Devant lui, plusieurs armes étaient disposées
sur une table métallique. Jaugeant une épée qui lui semblait de bonne facture,
il la glissa dans le fourreau qui pendait à sa ceinture.
- Je crois que celle-ci sera plus efficace, dit Yuan en lui
présentant une arme dans un étui de soie noir.
Le mercenaire plissa légèrement les yeux pour tenter de
décrypter le regard de son ami puis, il
défit le tissu et se saisit de sa vieille épée.
- Flamberge… Lâcha-t-il dans un souffle.
- Lloyd nous l’avait confiée, ainsi que la Vorpal. Les
laisser dans la nature était trop dangereux.
L’humain contempla l’arme. Des flammes semblaient danser à
l’intérieur du métal, courant le long de la lame en lui offrant la beauté du
feu. Sa poigne se raffermit sur la garde de Flamberge et il se débarrassa de
l’autre épée.
Ensuite, Kratos se
tourna vers un grand miroir. Il portait des vêtements noirs renforcés de cuir
par endroits et une cape épaisse recouvrait son dos et son épaule gauche. Alors
qu’il enfilait distraitement des mitaines, il s’étonna lui-même de l’expression
sinistre rendue par son visage émacié.
- Tu devrais peut-être te couper les cheveux, ironisa Yuan.
Le mercenaire jeta un coup d’œil à la longue chevelure
carmin qui atteignait ses cuisses. Un soupir d’exaspération lui échappa.
- Dans le fond, ça te va plutôt bien.
L’humain ne répondit rien et tourna les talons vers la
sortie. Le Demi Elfe leva les bras au ciel.
- Même après cinq mille ans, j’ai toujours l’impression de
parler à mur !
Kratos fit volte-face, fusillant Yuan de son regard rouge.
- Dépêches-toi et dis-moi où étaient les mages noirs avant
de disparaître !
Yuan le fit monter
dans un engin qui avançait grâce au même principe que les ptéroplans, mais en
beaucoup plus grand. Ils survolèrent plusieurs villes, éclatantes de blancheur
et d’activité. Son ami lui expliqua que l’Arbre de Kharlan produisait énormément
de mana, ce qui permettait non seulement à la nature de se développer, mais
aussi à la technologie de fonctionner sans toucher l’environnement. Le monde et
les hommes vivaient ainsi en équilibre parfait.
Après une petite
heure, ils dépassèrent Meltokio, en direction du Temple de l’Obscurité. L’engin
se posa dans une clairière, près des montagnes. Quand Kratos descendit, il
dégaina son épée et saisit sa longue chevelure. De longues mèches rouges
glissèrent au sol.
Au-dessus de Meltokio, des nuages cachés
par l’ombre de la nuit offraient leur pluie immaculée à la capitale. Les toits
étaient blancs et la rue glissante, mais, malgré la neige et le froid, la
métropole restait très animée, même plus qu’à l’accoutumée. Elle était bondée
d’habitants, de couples et de familles louvoyant gaiement dans les boutiques et
autour des sapins. Partout les façades étaient décorées et illuminées par des
guirlandes élémentales. C’était le premier Noël depuis la réunification des
deux mondes et il promettait déjà d’être mémorable.
Mais, bien que ce soit une fête de joie et
de générosité, certains n’arriveraient malheureusement jamais à s’entendre…
-
Zélos ! Tu n’es qu’un… qu’un sale pervers ! Vociféra Sheena.
- Pervers,
j’en convient, mais, personnellement, je me trouve plutôt propre. Tu veux venir
vérifier ? Plaisanta le roux. Ma délicieuse petite madame Noël en
sucre !
Un objet
volant non identifié traversa la pièce pour aller s’écraser avec grand fracas
contre un mur. Le manoir Wilder comptait désormais un vase de moins.
- Voyons,
ne te mets pas en colère, je croyais juste que ce joli costume était mon
cadeau, rigola l’élu en évitant un deuxième projectile.
A la porte, Génis avait suspendu son
mouvement, la main à quelques centimètres de la porte. Le jeune Demi Elfe
soupira avant d’enfoncer son menton dans son écharpe. Derrière lui, les autres
compagnons masquaient difficilement leur sourire, remontant leur col pour qu’on
ne voie plus que leurs yeux brillant d’amusement.
Finalement, il cala correctement son bonnet
sur sa tête et prit son courage à deux mains.
-
Génis ! Comme ça fait plaisir de te voir ! Oh ! Vous tous
aussi !
Zélos
l’avait doublé, sûrement en quête d’un quelconque espoir de fuite.
- Reviens
ici ! S’époumona la jeune femme à l’intérieur.
Un
sifflement au-dessus de la tête du jeune mage lui indiqua qu’il aurait été la
victime innocent du jour s’il avait été un peu plus grand.
- T’as vu
comme Sheena est de bonne humeur ? Une bataille de boules de neige
s’impose, hé hé !
L’élu fit entrer toute la compagnie.
- Tiens, tu
ne nous avait pas prévenus qu’ils seraient là, dit Raine en apercevant les deux
autres invités.
Dans le
salon, les deux derniers Anges du Cruxis, Yuan et Kratos, encore dans ses
habits du Cruxis, étaient confortablement installés dans de grands fauteuils,
immobiles. Ils relevèrent la tête à leur arrivée, le premier levant son verre
en guise de salut.
- Ouais,
j’ai voulu les accrocher au sapin mais ils n’étaient pas d’accords !
- Tss…
Stupide élu, dit Yuan, visiblement vexé.
- On
accroche des Anges aux sapins à Tesséha’lla ? Demanda candidement Colette.
- Mais oui
ma petite chérie ! Après tout, c’est l’Ange Gabriel qui est venu annoncer
la naissance de Mithos !
-
Balivernes, maugréa le Demi Elfe aux cheveux bleus entre ses dents.
Zélos ne
cacha pourtant pas sa joie d’avoir touché l’un des compères dans son orgueil et
c’est avec un sourire comme une banane, jusqu’aux oreilles, qu’il fit amener à
boire et les fit asseoir.
- Au fait,
vous n’auriez pas vu Lloyd ? Je l’avais aussi invité mais je n’ai pas eu
de réponse.
Les
compagnons s’entreregardèrent silencieusement. Génis prit la parole.
- Quand
Dirk est mort, il y a environ six mois, il a dit qu’il avait besoin de se
changer les idées et… il est parti.
- Nous
pensions le retrouver ici, poursuivit sa sœur. Mais visiblement…
Zélos
haussa les épaules.
- S’il
voyage, c’est normal qu’il n’ait rien reçu. Franchement, je pense qu’on n’a pas
besoin de se faire du souci pour lui.
Les autres
ne répondirent pas.
-
Bref ! Fit l’élu en se levant d’un bond. C’est Noël et j’ai des cadeaux
pour vous !
- Des
cadeaux ? Dirent en cœur les habitants de Sylvarant.
La bonne
humeur du roux s’affaissa comme s’il venait d’apprendre la mort de quelqu’un, les
yeux scintillants, au bord des larmes.
- Nous ne
faisons pas de cadeaux à Noël chez nous, expliqua Raine. Nous en faisons à la
fête de Martel, c’est-à-dire quand…
- Vous
voulez dire que… vous n’avez rien pour moi ? Les questionna Zélos de sa
petite voix enrouée. Ce sera la première fois que je ne recevrai rien à Noël….
- Il y a un
début à tout ! Lança Génis d’un rire gêné.
L’élu ne
bougeait plus. Un à un, il regardait chacun de ses compagnons, la mine défaite.
- Personne
ne m’aime ! Hurla-t-il de désespoir.
Assis sur un des plus hauts toits de la
ville, Lloyd inspira profondément l’air glacé de la soirée et regarda un gros
flocon blanc fondre dans sa paume. Frissonnant, il resserra sa cape autour de
lui. C’était un grand tissu brun clair qui lui arrivait aux mollets avec un col
qui remontait jusqu’à son nez, entourant tout son corps comme un poncho.
Il entendit des bruits de pas et n’eut pas
besoin de tourner la tête pour reconnaître son amie. Ayumi prit une des longues
mèches de cheveux du garçon et la fit glisser entre ses doigts.
- Ca te va
bien le blond, dit-elle avec un sourire amical.
Elle enleva
un peu de neige du toit et s’assit à ses côtés. Enfin, Lloyd se tourna vers
elle.
Ayumi était une jeune fille du même âge que
lui, plus petite et svelte que les autres filles de la bande. Elle avait des
yeux splendides, étirés tel les natifs de Mizuho, et à l’iris tellement sombre
qu’elle se confondait avec ses pupilles. Sa peau était comme de la porcelaine
et on la devinait douce comme de la soie. Encadrant son visage ovale, ses
cheveux noirs et brillants étaient aussi longs que ceux du garçon, atteignant
sa taille. A l’instar de Lloyd, elle avait revêtu une des grandes capes
habituelles des jeunes maraudeurs de Tesséha’lla, mais plus foncée que la
sienne.
Après l’initiation de Lloyd, ils étaient
devenus des coéquipiers inséparables. Ayumi était d’une compagnie agréable,
elle avait toujours une histoire à raconter lorsqu’ils s’asseyaient autour d’un
feu après une longue journée et, étrangement, sa présence semblait redonner de
la bonne humeur à tout ceux qui la rencontraient. Au départ, Lloyd avait eu
peur de la déranger avec son constant air maussade.
Depuis le départ de son père biologique sur
Derris-Kharlan et encore plus à la mort de son père adoptif, Dirk, il s’était
sentit abandonné et n’avait cessé de se refermer sur lui-même. Heureusement,
Ayumi avait le don de réconfort et, sans jamais demander les raisons de son
attitude, son sourire lui mettait du baume au cœur.
- Allez,
debout, on va faire un tour en ville ! Y a encore plein de richards à qui
ont peut faire les poches !
Les deux amis se levèrent et coururent vers
le bord de la toiture, leur chaussures souples ne laissant que peu de traces
dans sur la poudreuse. Une fois arrivés, sans ralentir leur course, ils
bondirent jusqu’au bâtiment voisin. S’aidant de l’environnement urbain, ils
filaient à tout allure dans la nuit sur les toits pourtant couverts de neige.
Après une dizaine de minutes d’une course effrénée, ils s’arrêtèrent. L’air
froid les faisait grelotter dans leurs capes, ils se regardèrent et, sans
prononcer un mot, ils décidèrent mutuellement de redescendre dans la rue pour
rejoindre les autres.
- Où
vas-tu ? Demanda Zélos en apercevant Kratos près de la porte, enfilant un
long manteau clair au capuchon de fourrure.
- Je vais
prendre l’air, répondit sèchement le mercenaire.
Kratos
sortit.
- Tsss,
toujours aussi sympathique celui-là, marmonna l’élu.
L’Ange referma la porte derrière lui. Il
devait faire terriblement froid cette nuit, mais la température ne l’affectait
pas. Il se promena dans les rues principales de la capitale, entrant finalement
dans un bar moins bondé que les autres mais néanmoins plus tranquille.
Détachant son long manteau, il le posa sur un siège à côté de lui et s’assit au
bar. Le gérant vint prendre sa commande.
C’était un homme de bonne taille et d’une
carrure assez large. Il portait une chemise blanche enserrée par un singlet
noir et son visage calme arborait une petite moustache.
- Monsieur,
que puis-je vous servir ? Demanda-t-il d’une voix posée tout en essuyant
un verre.
- Whisky.
- De
Meltokio, des montagnes de l’Est ou du Nord ?
- Du Nord.
Le plus
fort.
Kratos passa une main sur son visage. La
pièce rectangulaire était chauffée par une grande cheminée sur le côté gauche.
Les murs étaient sans tapisserie mais les briques acajou, les meubles de bois
brut et les fauteuils mitonnés offraient aux clients cette impression d’être
ailleurs, d’avoir quitté les habitudes mondaines de la capitale. Le bar
occupait les deux tiers du fond de la pièce. Devant le bar et près de la
cheminée, il y avait en tout six tables, pas de quoi en faire un endroit
surpeuplé. Mais l’Ange appréciait cet endroit, le calme, les alcools
classiques, …
Le barman lui apporta son verre. Le Kratos
but une gorgée qui manqua de lui brûler la gorge. Il savoura cette sensation.
C’était Yuan, il y avait plusieurs milliers d’années, qui lui avait appris à
apprécier l’alcool alors qu’il n’était qu’un jeune mercenaire concourant avec
ses amis pour savoir lequel pouvait boire une bouteille entière sans tanguer
après. Ces souvenirs lui auraient tiré un sourire mais ce dernier préféra se
cacher derrière l’habituel masque d’acier de l’Ange. Il reposa son verre.
Des rires. Tournant la tête vers la
cheminée, il remarqua un groupe de jeunes, tous vêtus de longues capes. Au
nombre de six, l’un d’entre eux était à genoux sur sa chaise, penché sur la
table, le bras tendu, essayant de prendre son verre à un autre qui rigolait. Mais
le regard écarlate du mercenaire remarqua un autre enfant, un jeune garçon aux
longs cheveux blonds et aux yeux semblables aux siens qui s’était recroquevillé
derrière ses amis quand son regard c’était posé sur eux.
Mine de rien, Kratos se détourna et, après
quelques secondes, fit un signe discret au barman.
- Qui sont
ces jeunes ? Demanda-t-il à l’homme, très bas.
Le barman
jeta un coup d’œil discret près de la cheminée.
- Ce sont
des gosses qui viennent d’un peu partout, personne n’a l’air de savoir s’ils
ont une famille ou non. Ce ne sont pas vraiment des voleurs comme certains le
disent. Ils travaillent parfois pour les hauts dignitaires en transmettant des
messages privés ou secrets. Un peu tapageurs, mais pas méchants.
Le barman
retourna à sa vaisselle.
Le regard du mercenaire se perdit au fond
de son verre. Alors c’était ça qu’il était devenu. Une vague douloureuse manqua
de le submerger. Kratos finit son verre d’une traite. Rapidement, il enfila son
manteau et sortit sans un regard pour les jeunes près de la cheminée. Après
tout, c’était son choix. Il n’avait pas le droit d’intervenir. Peu importe le
mal que ça lui faisait. Il ne pouvait pas.
Il marcha ainsi jusqu’à une grande place au
deuxième niveau de Meltokio, se persuadant que c’était mieux ainsi. L’air était
glacé et son souffle faisait des volutes blanches dans l’air qui
s’évanouissaient presque aussitôt. Lentement, il bascula la tête en arrière,
face aux cieux parsemés d’étoiles. Quoi qu’il arrive, les étoiles brilleraient
toujours, c’était un moindre réconfort. Il ferma les yeux. Même ainsi, il
pouvait les voir. Le ciel n’avait depuis longtemps plus de secrets pour lui.
Demain, il rentrerait sur Derris-Kharlan, surveillerait à nouveau les Anges
dépourvus d’âme, resterait silencieux. Avec une douloureuse appréhension, il se
libéra quelques secondes, sentit le poids de son cœur dans sa poitrine, se
rendit compte une fois de plus de l’étendue de ses cicatrices. Il s’avoua enfin
que ce destin l’effrayait. A force d’être loin de toute vie, il finirait comme
eux, le regard vide, agissant mécaniquement, comme une machine. Il perdrait
tout ce qui faisait de lui un être humain, toute trace de son passé.
Kratos ne se tracassait pas de ce que les
gens pensaient de lui, il n’y avait personne à cet endroit. Il agrippa son
manteau à l’emplacement de son cœur. Lloyd… Une bouffée de réconfort l’envahit.
Il avait choisi de vivre ainsi et ça ne le dérangeait pas. Tout ce qui
comptait, c’était qu’il soit heureux. S’il était heureux, alors sa longue
existence trouverait son sens, son…
Un bruit dans la neige, le léger craquement
habituel de pas sur la poudreuse. Lentement, l’Ange se retourna. Il était là, à
quelques mètres de lui, dans sa cape brune, avec ses longues mèches blondes
parsemées de flocons. Leurs regard se croisèrent, reflets l’un de l’autre,
identiques. Le visage du mercenaire s’adoucit. Lloyd, les joues rosies par le
froid, le regardait, muet, ses grands yeux écarlates emplis d’un triste mélange
de peine et de reproche.
Le garçon esquissa un geste, mais se
retint. Après quelques secondes d’un silence interminable, il sembla vouloir
revenir sur ses pas. Kratos fit un pas dans sa direction. Le garçon se réintéressa
à son père.
Kratos fit un deuxième pas, puis un
troisième. Reprenant contenance, ses idées se remettant en place, il avançait
avec plus d’assurance. Lloyd le regarda arriver sans bouger. En face de son
fils, le mercenaire s’accroupit pour être à sa hauteur. S’il y avait un remède
contre son mal, c’était la vie, son fils, son enfant adoré. Il posa sa main sur
la tête du garçon. Sa paume glissa jusqu’à sa joue. Sa peau était froide.
Les yeux de Lloyd se remplirent d’une
soudaine tristesse, brillants, de petites larmes scintillantes sur le bord des
paupières. Sans crier gare, il se jeta au cou de son père, éclatant en
sanglots. L’instant de surprise passé, Kratos referma ses bras sur lui, le sera
contre son cœur, de toutes ses forces. Il n’avait plus envie de repartir.
Dans le manoir Wilder, seul l’élu était encore
éveillé, même la jeune Séles était rentrée de sa virée entre amies. Peu
fatigué, il s’était proposé pour attendre le retour du mercenaire et ce dernier
ne tarda pas à rentrer.
Zélos regarda avec des yeux ronds les deux
énergumènes qui venaient d’arriver. Kratos portait sur son dos un jeune garçon
aux longs cheveux blonds mais au visage familier, endormi et emmitouflé dans
son manteau.
- Qu’est-ce
que c’est ? Le questionna l’élu en voyant le mercenaire emporter son
paquet vers les chambres.
- Mon
cadeau de Noël, répondit l’Ange, imperturbable.
- Qui te
l’a donné ?
- Le Père
Noël.
Lloyd ouvrit lentement les paupières. Un
mince rayon de soleil était passé entre les rideaux de tulle qui en filtraient
la majeure partie. Prenant appui sur ses coudes, il se redressa. Avec la
lumière, les souvenirs de la vieille ressurgirent. Son père… Il jeta un coup
d’œil dans la chambre, notant que son manteau était posé sur le dossier d’une
chaise. Il était chez Zélos et, vu la hauteur du soleil dans le ciel, il ne
devait pas être très loin de midi. Il y eut des bruits de pas dans le couloir
puis quelqu’un entra. Kratos.
Son père s’avança et s’assit sur le bord du
lit. Sans rien dire, il prit un objet dans sa poche et le lui tendit. C’était
une petite clé dorée. Lloyd comprit et n’esquissa pas un geste. Kratos lui prit
la main et y déposa la petite clé.
- Qu’est-ce
que c’est ? Demanda innocemment le garçon.
- La clé
d’un coffre à la banque.
Lloyd se
retint de fusiller l’Ange mais ne put s’empêcher de lui rendre un regard dur.
Il laissa tomber la petite clé sur les draps.
- Je n’ai
pas besoin d’argent.
-
Maintenant, non. Mais plus tard peut-être.
Sous les
yeux ébahis de son père, Lloyd, en enfant buté, prit la clé et la lança à
l’autre bout de la pièce. Il se laissa retomber sur le lit et tourna fermement
le dos à son protecteur.
Sans se démonter, Kratos tendit la main et
lui caressa les cheveux. Le garçon ne broncha pas. Comme Ayumi le jour
précédant, le mercenaire fit glisser une longue mèche blonde entre ses doigts,
un sourire en coin.
- En blond,
tu me fais penser à Yggdrasill. Je préférais ta vraie couleur, brun, comme ta
mère.
Lloyd se
releva vivement, rageur.
-
Arrête ! Maman n’est plus là !
- Lloyd…
- Tu vis
dans le passé et tu te caches tout le temps derrière ! J’aime maman, mais
elle est toujours entre nous ! C’est impossible de parler !
Impossible d’essayer de se connaître ou de se comprendre !
Le jeune
garçon se dégagea rageusement des couvertures et se leva. Sur le lit, son père
semblait pétrifié. Autrefois, il aurait donné cher pour pouvoir admirer cette
stupeur peinte sur son visage. Mais aujourd’hui, c’était différent.
Lloyd ouvrit la porte-fenêtre, faisant
volte-face pour toiser l’Ange une dernière fois, hurlant sa tirade finale.
- Je suis son
fils ! Pas son fantôme !
Et il
bondit à l’extérieur.
-
Lloyd ?
Le jeune
garçon, l’Epée Eternelle en main, s’était arrêté depuis quelques secondes alors
qu’il était en train d’envoyer son père sur Derris-Kharlan pour la seconde
fois. Lloyd baissa le bras, l’épée pointée vers le sol. Il lança un regard
indifférent au mercenaire et, sans le quitter des yeux, il lança l’arme à ses
pieds. L’Ange ne bougea pas. Lloyd haussa les épaules.
- S’tu veux
y aller, t’a qu’à le faire tout seul, t’es assez grand pour m’abandonner encore
une fois.
Il tourna
les talons. Kratos se précipita et posa une main sur son épaule. Mais Lloyd se
dégagea brutalement et le poussa en arrière, les joues inondées de larmes.
- La seule
chose que je voulais c’était rester avec toi ! Cria-t-il de tristesse et
de rage.
- Ecoute…
-
Non ! Toi, tu écoutes ! Je me fous pas mal de ce que t’as fait ou de
l’âge que tu as ! Tu comprends pas ce que je ressens ! T’es mon père,
tu trouves ça anormal que je veuille être avec toi après avoir été séparés
pendant plus de dix ans ?! T’as pas le droit de me refaire ça !
Le jeune garçon tomba à genoux, couvrant
son visage de ses mains, agité de sanglots. Rapidement, Kratos vint à son côté
et le prit contre lui, le serrant dans ses bras, le consolant, sans cesser de
répéter : « Je suis désolé, Lloyd. Je suis désolé. »
- Arrête de
pleurer, tout va bien, je reste avec toi.
Lentement,
Lloyd se calma. Toujours dans les bras de son père, il leva ses yeux fatigués
vers lui.
- Tu vas
vraiment rester ?
- Oui, je
te le promets.
Le jeune
garçon se blottit un peu plus contre lui.
- Même si
je n’ai pas de foyer pour toi…
- On n’a
pas besoin de maison. On est ensemble, c’est ça notre chez nous.
Kratos lui
releva la tête et lui montra un objet brillant dans sa paume. Un Cristal du
Cruxis. Le regard de son père se fit plus peiné.
- Est-ce
que tu veux vraiment vivre pour l’éternité, voir tous tes amis vieillir et
mourir, endurer la jalousie de ceux qui te sont chers à cause de cela, regarder
le monde et regretter les moments passés ?
Lloyd
enfouit son visage dans le torse du mercenaire.
- Je me
fous de vivre jusqu’à la fin des temps sur cette planète, Lloyd. Je resterai,
si tu le veux encore, mais ne me demande pas de rester à tes côtés pour te
regarder périr à petit feu.
Son fils se
redressa et prit le cristal.
- Je n’ai
pas peur, je suis avec toi.
Kratos
déposa un baiser sur son front.
- Euh… dis,
il y avait toute ta fortune dans le coffre dont tu m’as donné la clé ?
Son père
lui lança un regard amusé.
- Non,
seulement une petite partie. J’avais demandé à Yuan de quand même surveiller ce
que tu allais en faire et de remplir le coffre en cas de besoin…
Pourquoi ?
- Bah, euh,
j’ai refilé la clé à une amie de Meltokio. Ca… ne pose pas de problème ?
Kratos lui
ébouriffa gentiment les cheveux en se relevant.
- Ca posera
problème si tu refuses de raccourcir ça. C’est quand même un peu long, tu ne
trouves pas ?
Deux
ans après la réunification des mondes de Sylvarant et Tesséha’lla… Tesséha’lla, Meltokio, Tribunal…
Les jurés fixaient leur futur condamné.
L’Ange était attaché au sol par d’énormes chaînes métalliques liées à d’épais
anneaux autour de ses mains et de ses chevilles. Un autre lien, plus lourd
encore, passait entre les diverses
menottes pour rejoindre son cou, entouré d’un collier qui le forçait à garder
tête baissée. Ses cheveux aubruns cachaient son regard écarlate. Malgré cela,
la tension était palpable dans le tribunal. Plus qu’une présence, l’être
céleste était comme une ombre au-dessus d’eux. Il était le dernier membre de sa
race et le monde serait bientôt débarrassé de toute trace du règne du Cruxis.
Tous pourraient oublier.
- Kratos
Aurion.
Le mercenaire ne broncha pas à l’appel de
son nom. Il n’avait rien à ajouter aux faits qui lui étaient reprochés.
Pourtant, alors qu’il attendait silencieusement la suite du procès, son
attention était dirigée vers une toute autre direction que celle de son propre
destin. Au premier rang se tenait la seule personne qui eut jamais compté pour
lui.
- Papa…
Ce murmure
inaudible n’avait fait que traverser les lèvres de son fils, mais il l’avait
entendu avec une telle clarté que son cœur fit un bond dans sa poitrine. Lloyd…
Il bénit ses sens d’Ange pour pouvoir être capable de sentir sa présence. Elle
valait mieux que n’importe quel réconfort. Bien qu’il portait un cristal du
Cruxis depuis seulement deux années, il avait beaucoup changé. Ses cheveux,
plus longs, descendaient jusqu’à ses épaules, toujours aussi indomptables,
encadrant son visage affiné par son sang angélique. Habillé plus sobrement, il
portait une chemise blanche et un pantalon noir. Le médaillon était à sa place,
contre son cœur, sur sa peau halée par son insatiable envie de voyages.
A ses côtés se trouvaient Sheena et Zélos
qui étaient désormais mari et femme pour le meilleur comme pour le pire. L’élu
était devenu un représentant important du nouveau monde. Il avait proposé
d’user de son influence pour apaiser la colère à son égard, mais Kratos avait
refusé, il était prêt à assumer le poids de sa trop longue vie. Le roux était
passé derrière Lloyd et lui avait entouré les épaules de son bras pour le soutenir.
Mais le jeune immortel n’accordait aucune importance aux attentions de ses
amis, ses grands yeux carmin étaient rivés sur son père, emplis de doutes.
L’Ange pouvait percevoir son déchirement à travers les battements irréguliers
de son cœur. A droite de son fils se tenait son vieil ami, Yuan. Sa condition
d’éternel n’avait pas été révélée. Une société secrète qui regroupait
différents dirigeants et conseillés l’avait réclamé pour siéger à sa table.
Bien qu’il y avait un roi, c’étaient eux qui prenaient les décisions.
Malheureusement, un pion ne pouvait pas en reverser dix autres, c’est ainsi
qu’il avait été décidé de rendre publique la véritable identité du mercenaire,
sacrifié pour sauver les deux Anges restants. Il ne leur en voulait pas,
c’était lui qui avait décidé de revenir. Et dire que c’était dans cet endroit
qu’il revoyait son enfant après une si longue séparation.
L’humain leva la tête vers le juge.
- Avez-vous
quelque chose à ajouter ?
L’assemblée
retenait son souffle, après tout, un claquement de doigt aurait pu le libérer
et tous les envoyer en Enfer.
- Non.
Sa voix
profonde résonna dans l’esprit de Lloyd. Lentement, Ses doigts se crispèrent de
plus en plus sur le bras de Zélos qui resserra son étreinte et, au prix d’un
grand effort, il refoula ses larmes.
- Bien, la
séance est levée jusqu’au verdict des jurés.
Tout le monde se leva mais le jeune
immortel ne voulait pas bouger. Des gardes vinrent détacher son père pour
l’emmener ailleurs. Avant de disparaître derrière une porte du fond, il se
retourna vers son fils, ses yeux se firent plus doux, un sourire se dessina sur
ses lèvres. « Ne t’inquiète pas… » Pensa-t-il. Le temps d’un dernier
regard, il avait été emmené. Zélos et Sheena poussèrent en douceur le garçon
pour quitter la pièce.
- Papa…
Seul dans une pièce annexe au tribunal,
mais toujours lourdement attaché et surveillé, Kratos se prit à méditer sur son
propre sort. Des chaînes, des barreaux, des années,… Finalement, ce serait
l’usure qui aurait raison de lui. Au moins, Lloyd serait en sécurité, entouré
de ses amis. Et il savait que Yuan garderait constamment un œil sur lui.
Fermant les paupières, il renversa la tête en arrière pour détendre sa nuque
douloureuse. Le seul regret qui lui restait était de n’avoir pu passer plus de
temps avec son fils…br>
Lloyd était assis en tailleur dans un
canapé, les yeux vides de toute émotion. Néanmoins, ses amis savaient qu’un
rien le ferait craquer. Ils avaient trouvé une pièce à l’écart des autres
personnes qui assistaient au procès, enfin en paix. Plusieurs mètres plus loin,
Yuan méditait devant une âtre, le garçon ne savait pas que c’était lui qui
avait envoyé son père à l’échafaud. L’Ange inspira profondément et se dirigea
vers Lloyd. Il s’agenouilla devant le fils de son vieil ami.
- Lloyd, je
te promets qu’ils ne le garderont pas enfermé pour l’éternité.
Le garçon
leva les yeux vers lui.
- Ils vont
le garder longtemps mais il finira par sortir.
-Longtemps ? Demanda le jeune immortel.
- Oui, il
faudra que tu sois très patient.
- Dix ans ?
Vingt ans ?
Yuan ne
répondit pas et posa sa main sur la tête de Lloyd qui baissa les yeux.
- Je crains
que nous ne devions attendre qu’un certain nombre de générations se soient
écoulées…
Le garçon
respira profondément pour chasser le futur qui l’attendait. Le Demi Elfe lui
pressa alors l’épaule.
- Je sais
que tu es courageux, tu ne feras pas de bêtise. Ne t’inquiète pas pour lui, il
ne peuvent rien lui faire de mal.
- Ah !
Tu connais ton père ! Lança Zélos en ébouriffant joyeusement les cheveux
de Lloyd. Ce type a de l’acier dans les veines !
L’élu lui
fit un clin d’œil encourageant et le jeune immortel acquiesça.
- D’accord,
articula-t-il, la gorge un peu nouée. J’attendrai.
- Le
service nous est offert, on va bientôt nous apporter quelque chose à manger,
annonça Sheena.
- Ne
vaut-il pas mieux rentrer ? Les délibérations risquent de durer des jours,
enchaîna son époux.
- On dirait
pourtant qu’ils ont plutôt l’intention d’expédier ça en quelques heures,
soupira la jeune femme.
Yuan fronça
les sourcils, il avait un mauvais pressentiment.
- Je dois
m’absenter, je serai de retour pour le jugement, dit-il en quittant
précipitamment la pièce.
Lloyd amena
ses genoux sous son menton et entoura ses jambes de ses bras.
- Je… je ne
saurais rien avaler, bafouilla-t-il.
L’invocatrice
s’assit à côté du garçon, dégageant des mèches couleur chocolat qui glissaient
sur son visage.
- Lloyd…
- Je ne
saurais pas, insista-t-il, sa voix montant dans les aigus.
Sheena se
mordit la lèvre avant de reprendre d’un ton doux et compatissant.
- D’accord,
mais essaye au moins de te reposer, capitula-t-elle.
Elle se
leva et l’aida à s’allonger sur le fauteuil. Zélos lui lança une couverture
qu’elle étendit délicatement sur lui.
- Ne
t’inquiète pas, tout ira bien…
Pour la dernière fois, Kratos se retrouvait
enchaîné et tête baissée devant le juge. Les doigts de Lloyd serrèrent si fort
la barrière de bois qui le séparait de son père que ses jointures blanchirent.
Sa mâchoire se crispait alors que le silence se faisait, tous patientant pour
le jugement final. Seul le mercenaire semblait détendu alors qu’il savait
pourtant qu’il allait être privé de sa liberté pour des siècles, voire des
millénaires.
Soudain, Lloyd sursauta alors qu’une porte
du fond s’ouvrait pour laisser entrer d’autres personnes.
-
Mais… ?
- Qu’est-ce
que ceux de l’Institut de recherche fichent ici ? Le doubla Yuan, la voix
empreinte de colère.
Le cœur du
jeune immortel s’arrêta dans sa poitrine alors qu’il appréhendait ce qu’il
allait arriver. Il se tourna vers le Demi Elfe en quête d’aide mais celui-ci
fixait toujours les nouveaux venus. Même Kratos leva la tête vers eux pour les
regarder avec méfiance.
- Bien… Fit
le juge en tassant ses feuilles.
Lloyd
lançait des regards affolés en tous sens, le pouls irrégulier et brutal. Quand
il en revint au vieil homme en face de son père, ce dernier réajustait ses
lunettes avant de prononcer le jugement.
- Kratos
Aurion sera condamné à servir les expériences de l’Institut de recherche de
Tesséha’lla. Selon son état, il sera ensuite emprisonné à perpétuité dans une
prison créée par les chercheurs qui garantira sa passivité.
-
Non ! Hurla Lloyd.
Le garçon
voulu se jeter sur le vieillard mais ses amis le retinrent fermement.
-
Lâchez-moi !
- Ce
procès… n’est pas terminé, annonça le juge.
Les
compagnons se figèrent.
- Vous ne
pensez pas en avoir déjà fait assez comme ça ? Cracha Sheena avec une
ironie féroce.
Le vieil
homme ne se laissa pas impressionner.
- En ce qui
concerne le fils unique de monsieur Aurion, il sera placé dans une famille
désignée par ce tribunal et devra être coupé de ses relations actuelles pour
que tous puissent être rassurés quant à son éducation éloignée de tout
rapprochement avec le Cruxis.
Le juge
frappa son bureau d’un marteau de bois et les personnes qui avaient assisté au
procès se levèrent pour se diriger vers la sortie. Lloyd était blême. Ses yeux
croisèrent un instant ceux de son père dans un mélange de peur et de détresse.
- Vous…
vous n’avez pas le droit ! Cria l’élu, interloqué.
Le
vieillard frappa plusieurs fois sur son bureau.
- Veuillez
les faire sortir, dit-il à l’attention de plusieurs gardes postés dans un coin.
Yuan prit
le jeune immortel par les épaules et le força à suivre le flux de la foule.
Dans les couloirs, les gens se bousculaient
pour laisser passer les gardes qui escortaient le condamné. Yuan guidait tant
bien que mal les autres pour quitter le bâtiment, tenant fermement Lloyd par le
poignet. L’Ange jura. Comment allait-il faire pour sortir son vieil ami de
là ? Un homme corpulent le renversa presque et, pris par une vague de
colère, le Demi Elfe riposta violemment. Profitant du relâchement de l’éternel,
Lloyd se tordit le bras pour échapper à son emprise. Yuan se rendit compte trop
tard de sa tentative d’évasion et le garçon lui glissa entre les doigts. -
Lloyd ! Cria-t-il dans la cohue générale.
Le jeune
immortel, tenant son poignet douloureux contre lui, se faufila dans la foule
jusqu’à une partie libre où passait Kratos. Malheureusement, c’était là
qu’était massé la plupart des gens qui avaient assisté au procès. Il joua des
coudes pour se rapprocher mais la dernière ligne ne voulait pas céder. Son père
passa.
-
Papa ! Hurla-t-il.
Plusieurs
personnes le regardèrent avec des yeux ronds.
-
Papa ! S’époumona-t-il.
Brusquement,
une ouverture se fit et Lloyd se retrouva dans le sillon des gardes. Devant
lui, le groupe qui encadrait son père s’était arrêté. Kratos jeta un regard au
plus décoré d’entre eux puis s’avança vers son fils. Mais Lloyd n’attendit pas
et il se précipita droit vers lui. Arrivé en face du garçon, le mercenaire,
toujours menotté, s’agenouilla et lui prit la main. La foule eut un mouvement
de recul quand la lumière du sort soigna le poignet tordu mais aucun des deux
n’en tint compte.
- Papa… Dit
Lloyd, la gorge nouée.
- Chut…
Kratos leva
ses poignets entravés et les descendit autour de son fils. Lentement, le jeune
immortel enroula ses bras autour de son cou et y enfouit son visage. Le
mercenaire le serra plus fort contre lui quand des sanglots vinrent l’agiter.
- Je suis
désolé, articula le garçon.
- Ne
t’inquiète pas, ce n’est qu’une vieille étoile qui s’éteint pour laisser place
à une autre.
- Je m’en
fous, je veux rester avec toi. Je veux que tu restes avec moi…
- Lloyd, je
dois payer pour ces millénaires de souffrance. Ne sois pas triste, murmura
l’Ange à son oreille.
Le jeune
immortel se taisant, il poursuivit.
- Et puis,
je pars en sachant que j’ai laissé quelque chose de bien derrière moi...
Il écarta
un peu le garçon pour le regarder droit dans le yeux.
- Quelqu’un
de bien, sourit-il.
D’un
mouvement de bras, il se rapprocha et déposa un baiser sur son front avant de
le serrer encore plus fort contre lui. Il avait besoin de son courage pour ce
qui allait suivre.
- T’as qu’à
lancer un Jugement et puis on pourra partir, bouda Lloyd entre ses larmes.
Un cri
d’effroi se propagea parmi les badaux et Kratos ne put retenir un sourire.
- Je suis
certain qu’ils te trouveront une famille qui t’offrira enfin tout ce dont tu as
besoin.
- C’est de
toi que j’ai besoin !
Pour la
deuxième fois, ils avaient légèrement relâché leur étreinte pour se parler en
face.
-
J’aimerais te demander une dernière chose, dit le mercenaire d’une voix posée.
-
Hein ?
- Souris.
- Je… je ne
saurais pas !
Son père
eut une mimique amusée et, à la plus grande surpris de son fils, son visage
s’approcha du sien pour venir embrasser sa joue, juste à la limite de son cou.
Quand son père se retira, Lloyd resta interloqué. L’endroit où l’Ange avait
posé ses lèvres était encore brûlant de tendresse. Kratos mis son front contre
le sien et ferma les yeux.
- Je
t’aime, papa, murmura le jeune immortel.
- Je
t’aime, mon fils, répondit son aîné dans un souffle, ouvrant à demi les
paupières. Tu es ce que j’ai de plus précieux au monde.
-
Séparez-les, qu’on en finisse ! Beugla un homme.
Malheureusement
pour l’importun, l’invocatrice que se tenait près de lui n’était pas vraiment
du même avis.
-
Efreet !
L’explosion
qui suivit l’accès de colère de Sheena, quoique petite, fit fuir une grande
partie de la foule. L’homme, quant à lui, noir de suie, était étendu sur le
sol, trop effrayé par l’esprit originel planant au-dessus de lui pour se lever.
Lloyd avait vu toute la scène et quand il
se tourna vers son père, un grand sourire fendait son visage. Mais sa joie s’effaça
bien vite lorsque le mercenaire se redressa, brisant en même temps leur
étreinte. Des gardes se postèrent de part et d’autre de lui et l’invitèrent à
quitter la bâtisse. Le jeune garçon s’accrocha à son pourpoint.
- Papa,
promets-moi que tu résisteras ! Promets-moi que ce n’est pas un
adieu ! Supplia-t-il avec détermination.
- Lloyd…
-
Promets-le moi !
L’Ange ne
lui répondit que par un regard lourd de sens et se laissa entraîner. Yuan,
Zélos et Sheena rejoignirent rapidement Lloyd, il allait avoir besoin de leur
soutient.