Chapitre 01: Une ombre - par Ludovika
Julia écarta doucement des branchages et embrassa
l’horizon d’un regard béat. Une étendue verte à perte de vue, sauvage et
émouvante. C’était la première fois qu’elle mettait un pied sur le continent de
Sylvarant. Ses longs cheveux blancs dansèrent autour de son visage, caressant
son regard écarlate. Elle avait des yeux de son père, elle en était heureuse,
elle l’aimait profondément. Sa mère aussi, peut-être pas autant.
-
Et la mère est amère… Soupira-t-elle.
Elle
fila vers l’inconnu, le nez au vent, sautillant dans l’herbe grasse. Enfin,
épuisée, elle se laissa glisser au sol. Elle fixait les nuages depuis à peine
deux minutes quand son paternel apparu à ses côtés. Kratos s’assit et sa fille
se redressa, lui offrant un sourire candide. Il lui caressa tendrement les
cheveux.
-
Tu aimes cet endroit ? Demanda-t-il calmement.
-
Oh oui ! Ca change tellement de Meltokio, c’est tellement plus…
Sauvage ! Même l’air me semble plus pur !
-
Si ça te plait…
-
Tu n’es pas content d’être ici ? Dit Julia, étonnée par la tristesse
qu’elle venait voir se dessiner sur le visage de son père.
-
Ne t’inquiète pas, ce sont justes de vieilles histoires. J’ai évité cette
région pendant longtemps, je n’aurais pas dû, et y revenir après… Deux cent
ans… C’est difficile…
-
Oh…
Quand elle était enfant, son père l’avait
souvent régalée d’histoires épiques venant tout droit d’un autre âge. Qu’il
était un Ange, elle le savait depuis toujours. Parfois, Kratos passait chez les
Renégats, ou Yuan venait lui-même pour parler de choses sérieuses ou simplement
discuter. Il était étrange, Julia ne le détestait pas, mais elle n’arrivait pas
à l’apprécier non plus. D’ailleurs, le Demi Elfe ne jetait que des regards
hautains à sa mère qui préférait l’ignorer. La jeune fille n’avait jamais
compris pourquoi.
Père et fille se relevèrent. Près de leur
nouvelle maison, callée entre Asgard et Luin, une voix familière les appelait.
Julia parti en courant mais Kratos la rattrapa rapidement.
-
Arrêtes ! Tu sais bien qu’il est mort quelques mois plus tard ! Cette
histoire est terminée ! Dit Génis à sa sœur, visiblement énervé.
-
Oncle Génis ! Cria Julia en se jetant au cou du Demi Elfe.
-
Ah ! Ma nièce adorée, murmura-t-il.
-
Julia… Génis, ton père et moi devons parler de certaines affaires à régler, dit
calmement Raine à sa fille.
-
Je peux aller me promener alors ? Demanda-t-elle à sa mère. Je sais me
défendre !
Raine
soupira et son mari se pencha vers sa fille.
-
Tu as un ptéroplan ?
-
Oui.
-
Ne pars pas trop loin, d’accord ?
-
C’est promis !
Julia
déposa un rapide baiser sur la joue de son père qui lui rendit un affectueux
regard. Il se releva en regardant sa fille filer au loin comme une flèche.
-
Bon, je rentre, fit Raine en soupirant.
Kratos
acquiesça et suivit Génis qui retournait à la base de Triet.
Après le repas, Raine lisait un livre dans
le grand salon, Julia était endormie dans un fauteuil près de l’immense âtre
qui réchauffait agréablement la pièce. Dehors, une tempête faisait rage.
C’était une grande demeure. Elle comportait nombre de chambres, plusieurs
salons et une bibliothèque des plus onéreuses et remplies qu’elle n’ait jamais
vu, elle était le cœur de la maison. Dehors, il faisait nuit noire, mais la
Demi Elfe n’était pas fatiguée. Elle se leva et posa un regard doux sur son
enfant. Elle se pencha et lui caressa la joue. Julia ouvrit lentement les yeux.
-
Il est temps d’aller dormir, lui murmura sa mère.
-
Papa... revient quand ?...
-
Va dormir.
Elle
avait trouvé un mot de Kratos où il laissait entendre qu’il ne rentrerait que
pendant le lendemain. Julia se leva péniblement et sa mère la guida jusqu’à sa
nouvelle chambre. Sa fille se blottit sous les couvertures, déjà somnolente.
- Bonne nuit, maman.
-
Bonne nuit, Julia, fais de beaux rêves.
Raine
déposa un baiser sur son front et quitta la pièce. Elle se dirigeait à nouveau
vers le salon quand trois coups furent frappés à la porte d’entrée.
Qui pouvait bien les déranger à une heure
si tardive ? Peut-être était-ce simplement un Renégat qui leur apportait
quelque information. Raine secoua la tête, peu importe… Elle ouvrit l’imposante
porte de chêne.
-
Kratos ?
Soudain,
elle se figea de terreur. Ce n’était pas son mari qui se tenait devant elle.
-
Lloyd… dit-elle avec effroi.
C’était
lui, elle en était certaine, bien qu’il n’ait plus grand-chose à voir avec le
garçon qu’elle avait connu autrefois. De longs cheveux d’un beau marron
écarlate descendaient jusqu’à ses coudes, dégoulinants de pluie, glissant sur
son visage. Il était vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise blanche dont, par
endroits, les manches étaient encerclées d’anneaux métalliques. Son visage,
très pâle, était toujours aussi doux, quoiqu’une grande cicatrice barrait son
œil gauche. Dans sa main, il serait un pendentif dont la chaîne s’était
échappée de sa paume. Ses grands yeux carmin la regardaient sans ciller,
terrifiés.
Tous deux étaient sans voix. Lloyd tenta
d’ouvrir la bouche pour parler mais aucun son n’en sortit. Ils restèrent ainsi,
comme pétrifiés, jusqu’à ce que le regard du garçon se pose sur quelqu’un
derrière Raine. Julia tira à la robe de sa mère.
-
Maman… C’est papa qui est rentré ? Demanda-t-elle candidement, sans voir
son demi frère sous la pluie.
Les
yeux de Lloyd s’agrandirent encore. Il faisait non de la tête, refusant de
saisir la vérité qui s’étalait sous ses yeux. Julia remarqua que ce n’était pas
son père qui était revenu et se tut. Le jeune garçon balafré fit un pas en
arrière. Raine avança, voulu le retenir, mais il s’enfuit en courant, les yeux révulsés
de terreur.
-
Lloyd !
Raine
sortit pour le rattraper, mais il était déjà trop tard, il avait disparu sous
le couvert des arbres, dans le manteau de la nuit. Sur le sol boueux, elle
remarqua le médaillon qu’il avait jeté là, juste avant de fuir.
-
Tu es sûre que c’était lui ?
-
Oui… je ne sais pas comment il a survécu… mais c’était bel et bien Lloyd…
Ils
étaient dans le salon. Kratos, assis dans un fauteuil à haut dossier, se tenait
le visage entre les mains alors que Raine était debout face à la vitre et se
mettait parfois à faire les cent pas. Sur une table basse devant l’Ange, il y
avait le médaillon que la Demi Elfe avait ramassé. C’était le médaillon que
Kratos avait donné à son fils, des siècles de là. Il contenait une photo de
Lloyd, encore bébé, de Anna, sa mère, et de Kratos.
-
Pourquoi nous a-t-on dit qu’il était mort ? Demanda l’Ange d’une voix
atone.
-
Il était mort ! Enfin…
Raine
soupira. Devait-elle tout lui raconter dans les moindres détails ? Il
savait déjà tout.
-
Deux mois après la réunification, il est tombé gravement malade. Je ne savais
pas quoi faire. Je n’avais jamais vu de tels symptômes… Son état n’arrêtait pas
d’empirer. Il a souffert pendant des semaines avant de…
Kratos
se leva, il vint jusqu’à elle et posa son front sur la vitre glacée de la baie
qui donnait sur le jardin. Les paupières closes, il endura en silence les mots
de Raine, le calvaire de son fils.
-
Il a été enterré… juste à côté d’Anna… Sa tombe doit toujours y être.
Kratos
lui jeta un regard en biais avant de se redresser et de s’apprêter à quitter la
maison, le visage fermé.
-
Où vas-tu ? Demanda son épouse, inquiète.
-
A Isélia.
Kratos
quitta la demeure et disparu dans la nuit.
Seulement deux heures plus tard, Kratos
était déjà de retour. Des ombres moroses dansaient sur son faciès. Raine le
suivit au salon où il se laissa tomber dans le fauteuil au grand dossier en
poussant un soupir d’épuisement et de douleur. Ses habits étaient sales, ses
mains étaient couvertes de terre ainsi que son visage. Il finit par lever vers
elle ses prunelles pleines d’une infinie tristesse.
-
Rien, dit-il, la gorge nouée.
-
Rien ? S’étonna Raine.
-
Rien… La tombe est brisée… Le corps n’y est plus…
Kratos
baissa la tête et porta une main à ses yeux. Il pleurait en silence. Raine
sentait son cœur se déchirer, elle ne l’avait jamais vu dans un tel état. Elle
ne savait que faire. Elle ne pouvait rien faire. Rien n’apaiserait son chagrin
et son impuissance la torturait. Elle ne put que se tenir à ses côtés et lui
presser l’épaule…