Chapitre 02: Je te le promets - par Ludovika
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Ce gamin-là ?
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Oui, je le cherche.
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Qu’est-ce que vous lui voulez ? Demanda l’aubergiste, grossier et mal
rasé.
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Ce que je lui veux ne vous concerne pas, répondit calmement Kratos.
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Je ne veux pas avoir d’ennuis, moi !
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Où ? L’interrogea encore l’Ange qui commençait à perdre patiente.
Cet
homme puant qu’il avait trouvé semblait être la seule personne à savoir où se
terrait son fils. Il sentait l’alcool et la transpiration et il tenait une
auberge dans le même état que lui qui servait souvent de comptoir de vente de
drogue. Kratos avait remonté toutes sortes de pistes pendant des semaines pour
finalement atterrir ici. L’homme essayait nerveusement de se débarrasser de
l’Ange. Il avait beau être crasseux, il essayait tout de même de garder son
secret. S’impatientant, Kratos mit son poing sur le comptoir, l’aubergiste
sursauta. Mais quand il desserra sa main, plusieurs pièces d’or en glissèrent.
L’homme déglutit avec difficulté. Honnête mais corruptible.
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D’accord, dit-il.
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Alors, où ? Demanda Kratos, irrité par cette perte de temps.
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Près des ruines de Palmacosta, il y a une forêt…
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Et après ? L’interrogea encore Kratos, dont la voix devenait de plus en
plus autoritaire.
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Euh… Il y a un vieux manoir, continua l’aubergiste, mal à l’aise.
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C’est tout ?
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Oui…
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Parfait.
Kratos
quitta l’auberge. Il n’avait que peu d’informations, mais cela lui suffirait
amplement. Il hésita quelques secondes puis se dirigea vers une poste. Il
écrivit un message à l’attention de Raine : « Je sais où il est, je
vais le chercher. Je ne sais pas quand je rentrerais. Ne t’inquiète pas. Je
vous aime. Kratos. » Le facteur soupira
de devoir partir pour une dépêche privée mais sortit son dragon et fila vers Luin.
L’Ange se cacha derrière un rocher et déploya ses ailes azur.
Kratos avait volé tout le jour, mais il
était arrivé. Le manoir était là, à l’abandon, et la nuit le rendait encore
plus lugubre qu’il devait l’être de jour. Il fit le tour de la bâtisse et entra
sans un bruit par une vitre cassée. L’intérieur était plutôt bien conservé. Il
était dans une sorte de salon au centre duquel trônait un vieux piano à queue
en parfait état. Il n’y avait que quelques étagères dont les livres traînaient
au sol. Kratos s’approcha de l’instrument puis ramassa un volume assez épais.
Il le prit par la couverture, mais quand il le souleva, les centaines de pages
glissèrent et tombèrent sur le clavier qui émit quelques notes qui résonnèrent
dans tout le manoir. L’Ange se figea et tendit prudemment l’oreille. Soudain, des
bruits de pas précipités se firent entendre. Kratos se jeta vers l’escalier
qu’il gravit à toute allure, il traversait les premières pièces quand une
fenêtre fut brisée. Enfin, dans la dernière, il se pencha entre les éclats et
vit quelqu’un foncer dans la forêt. Il déploya ses ailes et se lança. Il ne
voulait pas faire de mal à Lloyd, mais s’il ne se dépêchait pas, il le perdrait
peut-être pour toujours.
Lloyd était rapide. L’Ange fila vers lui.
Quand il fut à moins d’un mètre de lui, le garçon se retourna et son père put
lire de la peur dans ses yeux. Il referma les bras sur son fils et ils
s’étalèrent sur le sol. Leur chute fut plus brutale qu’il ne l’avait prévu.
Kratos se releva, sous lui, Lloyd était sonné, sûrement blessé. Il passa un de
ses bras sous ses épaules, l’autre sous ses genoux, et le pris contre lui pour
le ramener au vieux manoir. Là, il pourrait le soigner et lui parler.
A l’étage, il trouva un matelas, posé
simplement sur le plancher, où il allongea son fils. Il releva un peu son
pantalon et vit sa cheville enflée. Ses mains entourèrent délicatement sa jambe
et émirent une faible lueur. Lloyd reprit conscience. Sursautant brusquement,
il poussa de ses pieds pour reculer. Le garçon était dos au mur, ses yeux
fixaient son père avec horreur. Il voulu déposer sa main sur la matelas mais il
la retira aussi vite que s’il lavait plongée dans des braises. Kratos tendit la
sienne vers lui. Après une longue minute, Lloyd s’avança et glissa sa main
blessée dans la grande paume de son père. Ses doigts se fermèrent doucement sur
les siens. Le sort de soin avait agi, mais Kratos ne voulait pas lâcher son
fils. Après deux cent ans, il le retrouvait enfin.
Kratos ferma ses paupières pour rassembler
son courage. La discussion qui allait suivre s’avérait difficile. Mais quand il
ouvrit les yeux, il vit le visage en larmes de son enfant.
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Comment t’as pu ? Gémit celui-ci.
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Lloyd…
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Comment t’as pu trahir maman ?... Et moi ?
Kratos
serra les dents alors que son fils posait son front sur ses jambes repliées et
qu’il les entourait de son bras libre. Lloyd se mit à sangloter.
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Je t’ai attendu… deux cent ans… Tu t’imagines pas…
L’Ange
se leva et se glissa derrière Lloyd. Il s’assit et prit son fils contre lui,
placé entre ses genoux. Doucement, il le tourna et le pressa contre son torse.
Alors, il le berça tendrement, jusqu’à ce qu’il se calme, puis que sa
respiration se fasse plus profonde. Le jeune garçon était épuisé.
Depuis quand ne l’avait-il plus serré ainsi
dans ses bras ? Soudain, il s’en voulu de l’avoir laissé, d’avoir choisi
la réclusion plutôt que son fils. Mais on ne revenait pas en arrière, il ne le
savait que trop bien. Intérieurement, il se demandait comment aurait été sa vie
s’il avait choisi Lloyd à la place des remords. Son existence aurait-elle été
plus douce encore que celle de son choix ? Il se détestait. Il se détestait tant de voir son enfant dans cet
état : si malheureux, si pâle, détruit. Et si son petit cœur était en ruines,
c’était uniquement par sa faute. Il
s’autorisa à verser quelques larmes. Lloyd était en vie, il y avait toujours de
l’espoir.
Kratos déposa un baiser dans les cheveux de
son fils.
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Je te sauverai, je te le promet, murmura-t-il à son oreille, je te promet que
tu seras heureux.