Tales of Symphonia - Partie 2 - Chapitre 10 "Confrontations"
La nuit était
tombée, enveloppant dans son écrin de soie noire le monde prospère de
Tésséha’lla. La lune, tel une perle de nacre aux douces rondeurs, s’élevait
haut dans le ciel moucheté de diamants scintillants.
Un petit groupe
de marcheurs avançait le long d’un sentier forestier serpentant entre les
épicéas et les mélèzes, à la lueur vacillante et timide de la lanterne brandie
par l’homme de tête. Ses vêtements, aussi sombres que les sous-bois
environnants, donnaient l’impression inquiétante que la lanterne flottait toute
seule. La petite troupe avançait cahin-caha, leurs pas étouffés par le tapis
d’aiguilles de pins à terre. À en juger par leur démarche hésitante, cela
faisait un bon moment qu’ils cheminaient ainsi et la fatigue se faisait
ressentir dans les rangs. Une des formes noires s’affaissa soudain sur
elle-même, à bout de force. Aussitôt, une de ses compagnes se précipita vers
elle.
- ça va ? demanda-t-elle.
Elle s’avança
vers la silhouette assise à terre et fit mine de la hisser sur son dos pour
continuer le voyage. Cette dernière esquissa un geste.
« Non, …
non tout va bien. Je vais me lever dans cinq minutes. Juste le temps de
souffler un peu, répliqua-t-elle.
- Non Colette,
ça ne va pas et je le vois bien. Nous marchons depuis des heures maintenant et
il est normal que tu sois épuisée.
- Mais toi tu
continues d’avancer », fit la jeune fille sur un ton de reproche.
Elle s’en
voulait d’être si faible. Elle était pathétique… Son intervention dans le
village les avaient peut être sauvés d’une mort certaine mais à présent elle
ralentissait tout le monde. Elle secoua la tête, essayant par ce geste de
chasser sa fatigue et jeta un coup d’œil sur le reste du groupe en contrebas.
Tous affichaient de sombres visages, nul besoin de lumière pour le deviner.
Colette avisa Régal qui portait le corps de Génis sur son dos et soupira.
Combien de temps tiendrait leur ami sans des soins plus poussés ? Régal
maîtrisait des sorts de guérison mineurs et il avait pu enrayer pour un temps l’hémorragie.
Cependant, durant leur fuite du village dévasté, les secousses, que l’ancien
aristocrate n’avaient pu amortir, avaient rouvert la blessure du petit magicien
et une tache écarlate s’étendait de plus en plus sur son torse.
Lloyd
interrogea du regard leur guide qui était revenu sur ses pas en constatant
soudain que certains s’étaient arrêtés en chemin. Leur destination était-elle
si loin ? Ils avaient progressé toute l’après midi dans les collines
s’étendant derrière Mizuho et s’étaient attaqués aux premières montagnes en
début de soirée, ne s’accordant qu’une courte halte pour calmer leurs estomacs
mourrant de faim.
- Il nous reste
encore une bonne heure de marche avant d’atteindre le camp. Courage !
répondit le guide à sa question muette.
Encore une heure !
pensa Colette avec amertume.
Ses pieds lui
faisaient un mal de chien à force de butter à chaque pas sur les racines qui
ornaient le sentier. Exténuée, elle pensa avec délice à un bon bain chaud mais
se ravisa presque immédiatement, un peu honteuse de ses pensées égoïstes. Avec
un imperceptible soupir, elle accepta, résignée, la main amicale et chaleureuse
que lui tendait Lloyd. Ce dernier la tira à lui et quelques secondes plus tard
la jeune fille blonde se trouvait à nouveau sur ses pieds. Elle adressa à son
ami un pâle sourire qui se voulait rassurant et la colonne de marcheurs se
remit en branle sous les hululements des chouettes et autres rapaces nocturnes.
Accoudé sur le
rebord de sa fenêtre, Zélos contemplait avec une fascination certaine la mer
démontée à ses pieds. Une tempête faisait rage depuis la fin de l’après midi et
la fuite du jour n’avait en rien calmé les éléments déchaînés. Bien au
contraire, alors que la nuit recouvrait de son noir manteau l’Abbaye du Sud-Est
et ses alentours, le vent avait forci et les vagues s’étaient creusées
davantage.
À présent,
l’Elu offrait, avec délectation et sans retenue, son visage aux intempéries. Il
lui semblait avoir trouvé là un dérivatif à la rage et la rancœur qui lui
obscurcissaient l’esprit et lui tordaient les entrailles. Le tumulte de ses
pensées trouvait curieusement écho dans chaque mugissement du vent, chaque
vague s’écrasant furieusement contre la falaise quelques mètres plus bas,
chaque roulement de tonnerre. Chaque éclair qui zébrait le ciel, éclairait
durant une fraction de seconde la chambre d’une lueur fantomatique, révélant ça
et là des meubles renversés, un pichet en terre finement travaillé gisant au
sol, brisé. Le chandelier avait roulé sous le lit et les draps étaient éparpillés
dans la pièce, claquant au vent. La pluie battante s’insinuait à l’intérieur
depuis la fenêtre grande ouverte, inondant Zélos et le plancher.
Lorsqu’il était
remonté, à la suite de son échange avec Kratos, la vue de cette chambre si
propre et bien rangée l’avait insupporté au plus haut point, et dans un accès
de fureur, le jeune homme avait tout bonnement dévasté la pièce, la rendant
ainsi plus conforme avec son humeur du moment.
Qu’ils aillent
tous au diable ! Tous autant qu’ils étaient ! Puisque sa chère sœur
avait l’air de tellement tenir à devenir l’Elue à sa place, qu’elle le garde ce
foutu cristal ! Il n’allait surtout pas la priver d’un tel
« privilège ». Mais qu’elle ne vienne pas se plaindre après.
Il éclata alors
d’un petit rire nerveux sans joie.
Pourtant, plus
il laissait libre cours à ses égoïstes pensées, plus le visage défait et
terrifié de Sheena lui revenait en mémoire. Son cœur s’emballa alors bien
malgré lui.
Sheena.
Non ! Arrête ça tout de
suite Zélos ! Tu ne peux pas te permettre ça ! Pas maintenant !
Et il secoua la
tête afin de chasser cette image qui semblait vouloir être collée à ses
rétines. Une autre s’imposa à lui. Celle d’une jeune femme blonde à la beauté
éblouissante, rougissant de son sang versé la neige immaculée. Une larme de
douleur roula sur sa joue, invisible parmi les gouttes de pluie qui battaient
son visage.
Mère !
Voilà bien
longtemps qu’il n’avait pensé à elle. Cela faisait presque dix-sept ans en
fait, et depuis ce jour maudit pas une seule fois il n’avait versé une larme.
Dans son dernier souffle, elle lui avait fait promettre d’être fort, de ne
jamais abandonner. Et, c’est ce qu’il avait fait… à sa manière toutefois. Il
n’avait jamais montré ses faiblesses à personne, utilisant par contre celles
des autres sans aucune retenue. Dans un monde qui ne voulait pas de lui, il
avait su s’imposer, trouver sa place, et était rapidement devenu très peu
scrupuleux sur les moyens employés pour y parvenir. Seul le résultat comptait.
Cela bien sûr, n’avait pas été du goût de tout le monde, notamment du Pontife
et de la monarchie qui pensaient faire de cet enfant investi de tant de
responsabilité et de pouvoir, une marionnette dont il serait aisé de tirer les
ficelles. Pourtant, le jeune garçon, encore endeuillé par la disparition
brutale de celle qui l’avait mis au monde, s’était révélé beaucoup plus retord
qu’ils ne l’avaient prévu au départ. Décidé à ne pas subir son destin mais à le
créer, l’Elu était devenu une entité avec qui il fallait compter sur
l’échiquier du pouvoir.
Mais
aujourd’hui, si près du but qu’il s’était fixé, Zélos était las de toute cette
mascarade grotesque qu’était sa vie. Il n’était plus tout à fait sûr de vouloir
sacrifier la jeune Elue de Sylvarant sur l’autel de ses manigances
personnelles. Une part de lui, lui soufflait de laisser de coté ses
hésitations : il n’accomplissait là qu’un devoir envers lui-même. Il ne
devait pas laisser passer sa chance. Elle ne se représenterait peut être
jamais. Une autre part, cependant, doutait. N’allait-il pas, par son geste,
perdre les seules personnes qui comptaient un tant soit peu à ses yeux ?
Il eut soudain
la désagréable sensation d’être épié. Son échine se hérissa et ce n’était pas
dû au froid glacial de la pluie diluvienne. Des années d’entraînement aux arts
du combat avaient aiguisé cette faculté, propre à tout combattant, de percevoir
l’hostilité tapie dans l’ombre et c’était ce qu’il ressentait à cet instant. Il
se retourna vivement, la main sur la garde de sa dague, prêt à dégainer. Il ne
vit pourtant rien et allait relâcher la tension qui engourdissait ses muscles
lorsqu’un nouvel éclair déchira le ciel plombé. Accompagné du fracas
assourdissant d’un coup de tonnerre, il illumina la chambre. Son cœur manqua
alors un battement.
Mais qu’est ce qu’il vient
foutre là lui… ? Et surtout, comment a-t-il pu rentrer alors que la porte
est fermée à clé et que celle-ci est dans ma poche ?
Une sonnette
d’alarme retentit avec force quelque part dans la tête de l’Elu qui retenait
son souffle. Ce larbin d’Yggdrasill n’était sûrement pas venu là pour faire la
conversation en toute courtoisie.
- C’est à quel
sujet ? commença Zélos en prenant un air faussement décontracté.
Intérieurement
pourtant, il était tendu à l’extrême.
L’ange releva
lentement la tête vers lui, comme si les paroles que venaient de prononcer son
interlocuteur l’avait réveillé d’une quelconque transe. Il planta son regard
sans vie dans celui de l’Elu qui se sentit soudain très mal à l’aise. À croire
que cet être étrange était en train de sonder son âme et ses pensées les plus
intimes. Il tenta alors de faire le vide dans son esprit, mais plus il
essayait, plus sa tête fourmillait d’images, comme si l’ange cherchait quelque
chose de précis dans son sub-conscient. Le jeune homme se prit la tête entre
les mains et appuya sur ses tempes avec force, essayant par ce simple geste de
stopper ce défilé continu. La douleur lui vrilla le crâne et il tomba à genou,
le souffle court, réprimant le cri de souffrance provoqué par cet exam mental.
- Non !
gémit-il piteusement.
L’ange haussa
les sourcils d’étonnement, animant son visage de cire d’une mimique presque
grotesque. Comment ?! Ce misérable humain osait essayer de se soustraire à
la volonté de Lord Yggdrasill, son seigneur et maître ?! Une telle chose
était tout bonnement inenvisageable ! La créature ailée poussa alors plus
loin son intrusion dans l’esprit de l’Elu, broyant d’une main de fer ses
dernières résistances.
Le sang battant
ses tempes et les oreilles bourdonnantes, Zélos était au supplice. Il avait
l’impression que son cerveau menaçait d’imploser à tout moment tant la douleur
était vive et lancinante. Une lame passée au travers du corps n’aurait pas eu
meilleur effet, il en était certain.
Ne pas penser… ne penser à
rien… ne pas penser…
Telle était la
litanie que marmonnait le jeune homme roux qui espérait ainsi pouvoir reprendre
le contrôle de son esprit. Action dérisoire en réalité car le pantin
d’Yggdrasill était infaillible. Une foule de sensations et d’images venaient
assaillir Zélos complètement dérouté. Une multitude de jolis minois féminins
passèrent devant ses yeux écarquillés - ses anciennes conquêtes comprit-il,
dans un sursaut de lucidité - parmi lesquelles trois visages revenaient
régulièrement, superposables et interchangeables à l’infini. Trois femmes. Une
blonde, une rousse et une brune. Trois entités symboliques qui tourbillonnaient
autour de lui tel des fantômes évanescents. La mère, la sœur et la femme…
-
Arrêtez !!! Arrêtez ça ! supplia-t-il les yeux brouillés et la tête
emprisonnée dans un étau de douleur.
Autant parler à
un mur. L’ange du Cruxis, impassible continuait son office tandis qu’au dehors,
la tempête battait son plein.
- Bien. Cela
suffit comme ça. J’ai ce que je voulais savoir.
Le ton était
dur, tranchant.
« Oui
maître, ânonna l’ange d’une voix monocorde en relâchant la pression invisible
qu’il exerçait sur le cerveau du jeune homme.
- Alors mon
cher « Elu », reprit la voix glacée, teintée d’une pointe d’ironie.
Aurais-tu envisagé une seule seconde de ne pas respecter tes engagements auprès
de moi ? »
L’Elu en
question resta immobile, prostré à même le sol, haletant. Il était bien
incapable à présent du moindre discours cohérent. Sa conscience semblait être
en miettes et au prix d’un douloureux effort, il tenta tout même de relever la
tête.
-
Réponds ! Réponds lorsque je m’adresse à toi misérable chien
d’humain !!! fulmina la voix au timbre métallique.
Le dernier
terme fut craché avec un mépris non dissimulé, comme si prononcer ces simples
mots lui avait brûlé la gorge.
La douleur
revint au galop dans le crâne de Zélos, fulgurante, et son hurlement fut
aussitôt happé et noyé dans le mugissement du vent.
« Oui… je
… je veux dire non. Ja- jamais je n’aurais… eu… l’audace… de…, parvint-il à
répondre finalement, le souffle haché par la souffrance et le front baigné de
sueur.
- C’est bien
vermine. Je veux cette fille. Lorsqu’elle sera en ma possession, alors je te
donnerais ce que tu désires si ardemment, lui susurra la voix envoûtante et
traîtresse à l’oreille. Dans le cas contraire, je saurais m’assurer de ta
« coopération ». Je sais où frapper à présent… »
Zélos
tressaillit. Dire qu’il avait espéré l’espace d’un instant la laisser en dehors
de tout ça. Qu’il était donc stupide ! Le jeune homme eut un sourire
désabusé devant sa propre naïveté. Comment avait-il pu oublier ces règles
élémentaires, lui rompu aux querelles intestines pour l’accession au pouvoir et
dans lesquelles tous les coups étaient permis ? Ne jamais s’attacher, ne
jamais donner à l’ennemi l’occasion de pouvoir vous atteindre et frapper,
frapper toujours le premier.
- Tu n’auras
donc pas fini de faire souffrir les femmes, mon pauvre petit chien…, railla la
voix moqueuse du chef du Cruxis. Allez, va ! Et ne me déçois pas. Tu
pourras bien le regretter sinon… et peut être bien plus tôt que tu ne le crois.
Zélos cligna
des yeux, tant la scène qu’il venait de vivre semblait irréelle. La douleur
qu’il éprouva en essayant de se relever, lui prouva sans plus tarder le
contraire. Ainsi Yggdrasill savait ses doutes et ses interrogations. Il lui
faudrait redoubler de prudence à l’avenir et jouer serré, conscient maintenant
que la moindre faute de sa part pourrait avoir des conséquences qu’il ne tenait
même pas à envisager. Péniblement il se redressa et expira profondément afin de
chasser la douleur qui lui martelait le crâne. Un instant, un voile noir passa
devant ses yeux et le jeune homme chancela. Sa main agrippa le rebord de la
fenêtre, comme un noyé attrape sa bouée de sauvetage. Il se laissa ensuite
doucement glisser le long du mur de moellons, hagard. Dans quel pétrin
s’était-il encore fourré…
Pas de panique Zélos, …
analyse les choses dans leur ensemble. Non mais quel abruti je fais !
J’avais bien besoin de ça tiens ! Comment je vais me sortir de cette
situation maintenant ? … Oui bon, d’accord, je l’ai bien cherché… ça
m’apprendra à jouer selon les règles du jeu de l’adversaire ! Le mal est
fait maintenant et me voilà dans de beaux draps ! Qu’est ce que… qu’est ce
je dois faire…Déesse ! Je vous en prie !
Un sanglot
d’impuissance monta du fond de sa gorge et il eut beaucoup de mal à le
réprimer. Mais en avait-il seulement envie ? Zélos se sentait de plus en
plus perdu. Les derniers évènements venaient de fausser complètement son
jugement et de balayer ce qu’il prenait hier pour des certitudes.
Bon, reprenons. Chaque chose
en son temps… Mon cher Zélos, il va falloir que tu établisses des priorités.
Oui c’est, ça ! Bonne idée ! Des priorités !
Il avait donné
à Yggdrasill les moyens de l’atteindre. Par sa faiblesse, il avait permis
l’inacceptable : être sous l’emprise de quelqu’un. Mais était-ce bien la
première fois qu’une telle chose se produisait ? Force lui fut de
constater, avec amertume, que non, malgré tous ses efforts d’autopersuasion
pour se convaincre du contraire. Et comme il avait dû en faire des efforts,
pour se maintenir éloigné d’elle ! Surtout après cette lointaine nuit
d’hiver où ils s’étaient regardés pour la toute première fois. Comme il avait
dû se faire violence, pour ne pas l’arracher séance tenante à cette famille
pour qui seuls le paraître et l’honneur de leur nom comptaient. Surtout après
cette soudaine étincelle qu’il avait perçu dans ses grands yeux bleus.
Mais il l’avait éloigné de lui.
Inexorablement.
Elle, sa demi-sœur, si détestée
et à la fois si chérie. Détestée pour la dévotion que lui portait son père et
sa belle-mère alors que lui ne récoltait que du mépris. Chérie, car au delà de
cet état de fait, il avait trouvé en elle écho à sa propre solitude et son
besoin d’amour.
Il s’était pourtant bien appliqué
à sa tache. Trop peut être. Tant et si bien que les barrières qu’il avait
volontairement élevé entre eux étaient devenues, au fil du temps,
infranchissables. Pourtant, même le plus puissant des murs se fissure un jour ou
l’autre.
Et puis, depuis
quelques temps, il y avait également ELLE. Sheena. Alors que l’autopersuasion
avait fini par fonctionner avec Sélès, avec Sheena cela s’était révélé
impossible. Ses fanfaronnades incessantes et son air bravache ne lui servaient qu’à
masquer son trouble face à elle. Trouble des sens et trouble de l’âme. En
clair, il se donnait une contenance. Il n’avait pas prévu de s’attacher autant
à la jeune femme. Bon sang ! Il était vraiment dans la mouise là… et
jusqu’au cou ! Pour la première fois depuis longtemps, il avait peur pour
une autre personne que lui. Un petit rire désabusé secoua ses épaules.
Rire qui mourut
aussitôt. Une pensée sournoise venait de lui traverser l’esprit. Et si
Yggdrasill avait décidé de faire un exemple et de mettre ses menaces à
exécution ? Ses dernières paroles avaient été, en effet, on ne peut plus
énigmatiques.
D’un bond,
Zélos fut debout tentant de faire taire les battements désordonnés de son cœur
et de contrôler la peur qui lui nouait les entrailles. Un instant il resta
planté là, hésitant.
La jeune invocatrice était sous
la bonne garde du Professeur et de Préséa en ce moment même. Elle ne risquait
donc rien pour l’instant, ses deux compagnes étant là pour la protéger. Et il
doutait qu’Yggdrasill se donnerait la peine d’accomplir lui-même la basse
besogne. Il enverrait sans aucun doute un de ses sous-fifres. Connaissant la
force de la demie-elfe et de la fillette à la hache, il ne doutait pas qu’elles
seraient à la hauteur de leur adversaire à plumes. Par contre Sélès était
seule.
Enfin !
Enfin ils étaient arrivés à destination. Jamais cette dernière heure de marche
ne leur avait parut si longue.
Colette soupira
de soulagement dès qu’elle se fut assise sur une grosse pierre plate qui
jonchait le sol nu de la grotte où le village entier de Mizuho avait trouvé
refuge. Elle retira ses bottines blanches et remua, avec une satisfaction non
dissimulée, ses orteils douloureux et engourdis. Puis, elle prit le temps
d’observer son environnement. Elle laissa vagabonder son regard fatigué sur les
petits groupes rassemblés ça et là autour de feux de camps. Des tentures et des
paravents avaient été dressés à la hâte afin de ménager un semblant d’intimité.
Le brouhaha
avait cessé un instant lorsque la petite troupe avait pénétré dans l’excavation
humide quelques minutes plus tôt. Que de visages anxieux les avaient dévisagés
à ce moment là… qui cherchant un père, qui un mari, qui un fils ou encore un
ami ! De la vaillante et fière unité de défense du Mizuho, il ne restait
qu’une poignée de combattants.
Fidèle à leur
réputation, les proches des victimes ne laissèrent rien transparaître de leur
douleur et de leur tristesse Tout n’était que retenue et maîtrise de soi chez
ce peuple, constata l’ange blond. Même dans l’épreuve, il restait stoïque en
public. A Mizuho, les sentiments devaient restés cachés leur avaient expliqué
Sheena et Orochi lors de leur toute première rencontre, et elle venait d’avoir
la confirmation de cet adage.
Une forme se
dressa devant elle et Colette sursauta violemment. Elle ne l’avait pas senti
approcher. Ses sens d’ange faiblissaient-ils ? Impossible ! Et
pourtant… Elle devait bien se rendre à l’évidence : elle n’était plus la
même depuis un certain temps. Elle releva les yeux et aperçut une femme d’une
quarantaine d’année environ qui semblait attendre que la jeune fille lui
adresse la parole. Son regard était légèrement baissé et elle s’inclina devant
elle en guise de salutation. Colette se redressa vivement, consciente de son
impolitesse et invita d’un sourire engageant la femme à s’exprimer.
« Je
m’appelle Atsuki mademoiselle. C’est Orochi qui m’envoie. Je suis guérisseuse
et j’aimerais pouvoir examiner votre ami si vous le voulez bien.
- Bien sûr.
Venez avec moi voulez-vous ? »
L’Elue attrapa
la main de la guérisseuse qui parut surprise de cette marque de familiarité.
Colette ne fit pas attention à sa gêne et l’entraîna dans son sillage. Seule la
vie de Génis comptait à présent.
Anxieux,
l’adolescent observait cette femme qui à présent palpait le torse de Génis
brûlant de fièvre.
- Vous pouvez
faire quelque chose ? demanda-t-il avec difficulté.
La guérisseuse
fronça ses sourcils noirs sans pour autant répondre et Lloyd se renfrogna.
Sensible à sa peine, Colette s’approcha de lui et serra doucement sa main dans
la sienne.
- Il va s’en
sortir Lloyd… j’en suis sûre, murmura-t-elle avec douceur, la tête posée sur
l’épaule de son ami.
Ce dernier ne
répondit pas. Trop bouleversé pour prononcer le moindre mot, il se contenta de
hocher légèrement la tête et de serrer la main de la jeune fille plus fort dans
la sienne.
Ce fût Atsuki
qui les tira de leur mutisme en leur demandant, d’un ton qui ne souffrait
d’aucune réplique, d’aller leur chercher de l’eau bouillante, des linges
propres, ainsi qu’un petit mortier. Lloyd et Colette s’exécutèrent aussitôt.
« Alors,
qu’en pensez vous ? demanda Régal à Atsuki dès que ses deux amis se furent
suffisamment éloignés.
- Votre jeune
ami a reçu une sale blessure, répondit la guérisseuse tout en cherchant le
pouls de Génis. Heureusement, rien que je ne puisse soigner. N’ayez, crainte.
Il s’en sortira.
- Merci, fit Régal,
visiblement soulagé.
- Seulement je
me dois de vous prévenir. Je n’utilise pas la magie pour guérir mes malades et
il mettra du temps à se remettre.
- Peu importe.
Du moment qu’il vit, c’est l’essentiel.
- Alors, il
vivra », conclut Atsuki.
Un coup de
tonnerre plus fort que les autres fit sursauter violemment la jeune fille
rousse, lovée dans un fauteuil, qui laissa échapper le livre qu’elle était en
train de lire. Maudissant sa réaction involontaire – ce n’était qu’un banal
orage de fin d’été après tout – elle se pencha pour ramasser son bien et en
profita tout de même pour rapprocher son siège de la cheminée. Ce n’était peut
être qu’un orage tout ce qu’il y avait de plus ordinaire, pourtant ce genre de
manifestation climatique ça n’avait jamais été son truc.
Soupirant, elle
reprit sa lecture mais le cœur n’y était plus. Elle ne cessait de repenser à la
présence de son frère en ces murs austères et de ressasser sa rancune à son
encontre. Perdue dans la contemplation des hautes flammes jaunes qui
crépitaient dans l’âtre, elle sursauta à nouveau lorsque la porte de sa chambre
s’ouvrit à la volée.
Sélès
dévisageait à présent son frère avec de grands yeux ronds, intriguée. Le rouge
aux joues et la chevelure en bataille, celui-ci tentait de reprendre son
souffle en se tenant au chambranle de la porte, une expression visiblement
anxieuse, voire paniquée, sur le visage. Il balaya d’un coup d’oeil circulaire
l’ensemble de la pièce et fut soulagé de n’y trouver personne. Du moins en
apparence.
- Qu’est-ce que
tu fais ici ? demanda Sélès, surprise.
Sans un mot, ni
un regard pour sa sœur, l’Elu s’avança davantage dans la chambre et entreprit
une fouille méticuleuse, rythmée par sa respiration bruyante et désordonnée.
Tout y passa. Du dessous du lit au fin fond de l’armoire, sans oublier le
derrière des tentures.
- Zélos !
Pour l’amour de Martel ! On peut savoir ce que tu fabriques ? explosa
Sélès, furieuse.
Elle avait
oublié à quel point son frère pouvait être sans gène et agaçant quand il vous ignorait
volontairement. Remise de la surprise de le trouver face à elle, elle
s’insurgeait à présent de le voir fouiller dans ses affaires et de violer ainsi
son intimité.
Zélos referma
les panneaux en bois de l’armoire – la dernière - et poussa intérieurement un
petit soupir de soulagement. La pièce était vide de toute présence ennemie. La
catastrophe semblait avoir été évitée de peu. Il se surprit presque à remercier
Yggdrasill de n’avoir rien tenté. Aussitôt après avoir eu cette pensée, il
s’infligea une claque mentale. Lui, implorer la clémence d’autrui ?... Il
était visiblement tombé bien bas ces derniers temps…
Il sentit
soudain une main agripper son avant-bras et le faire pivoter. Une Sélès au bord
de la crise d’apoplexie, les yeux exorbités par la fureur, se trouvait à
présent face à lui. Les vieux réflexes revenant au galop, le jeune homme
afficha instantanément un sourire nonchalant et un brin supérieur.
- Vas-tu me
répondre à la fin, Zélos ? vociféra la jeune fille. On peut savoir ce
qu’il te prend de débarquer ici tout d’un coup sans même avoir été
annoncé ? Et puis, qui t’a donné le droit de fouiller dans mes
affaires ?
Si ses yeux
avaient été des armes, nul doute qu’elle aurait abattu sur le champ cet
impudent !
« Allons,
allons, du calme petite sœur, commença Zélos en lui tapotant le sommet du
crâne.
- Arrête de
m’appeler comme ça sur ce ton condescendant, répliqua immédiatement Sélès sur
la défensive. Et ne me touches pas !
- D’accord,
d’accord… pas la peine de monter sur tes grands chevaux, frangine.
-
Ne–m’appele-pas-comme-ça ! » martela la-dite frangine, au comble de
l’exaspération.
Les rares fois
où ils s’étaient vus, Zélos avait toujours eu le chic pour la faire sortir de
ses gonds en un rien de temps. Et ce soir ne faisait pas exception à la règle.
Sélès se
renfrogna et fit la moue. Le jeune homme n’avait toujours pas répondu à sa
question.
« Alors ?
fit-elle, hargneuse.
- Alors
quoi ? rétorqua Zélos sans comprendre.
- Qu’est ce que
tu fiches ici ? »
Le ton
volontairement blessant peinât Zélos bien plus qu’il ne voulait l’admettre.
« Depuis
quand dois-je obtenir une autorisation pour rendre visite à ma petite sœur
chérie ? répondit-il dans un grand sourire tout en tentant une étreinte
maladroite.
- Et depuis
quand je suis ta petite sœur chérie ? fit Sélès, ironique, en se dégageant
violemment. Première nouvelle… »
Visiblement
excédée, elle se dirigea vers le fauteuil qu’elle avait précédemment quittée
pour s’y laisser tomber en levant les yeux au ciel. Son frère suivit le
mouvement et vint se planter devant elle.
« Ne sois
pas si médisante voyons, susurra l’Elu un doigt posé sur le rebord de la
cheminée tout en traçant ses contours d’un air absent.
- Je ne dis que
ce qui est cher frère, dit l’adolescente en appuyant bien sur le dernier mot.
Tu ne m’as toujours pas dit ce que tu venais faire dans cette abbaye reculée, à
mille lieux des palaces que tu fréquentes d’habitude…
- J’avais
simplement envie de voir comment tu allais après tout ce temps. Les
retrouvailles ont plutôt été brèves tantôt.
- Et tu t’en
étonnes ? A qui la faute, dis moi ?
- Quel cynisme
ma chère…
- Je ne suis
pas cynique, juste réaliste. Tu ne donnes plus signe de vie depuis près d’un an et
tu voudrais que je t’accueille à bras ouverts ? Je ne suis plus une enfant
facile à berner. Si tu es ici c’est qu’il y a une raison autre que le soudain
désir de savoir comment je me porte à croupir dans cet endroit sinistre !
Ne me prends pas pour une imbécile !
- Ai-je déjà
dit le contraire ? » fit Zélos sans se départir pour autant de son
petit sourire satisfait.
Attitude qui
horripila au plus haut point sa cadette.
« Zélos !
aboya-t-elle. Ou tu me donnes une raison valable à ta présence, ou tu fiches le
camp de ma chambre et tu me fous la paix, c’est clair ?
- Mais puisque
je te dis qu’il n’y a pas de raison particulière ! Tu commences à me
courir sur le haricot là !
- Oh, mon
pauvre chéri ! Je vais te plaindre tiens !
- Sélès, ça
suffit ! gronda l’Elu de Tésséha’lla.
- Tu n’as pas
d’ordres à me donner ! Tu n’as aucun droit sur moi ! Tu crois que tu
peux te pointer ici la bouche en cœur et faire comme si tout t’était dû ?
Pourquoi es-tu ici ? Pourquoi m’adresses-tu la parole ? Il me
semblait que ma présence te gênait dans tes activités plus ou moins
douteuses. »
Harcelé, pris
au piège, Zélos essayait désespérément de trouver une échappatoire à cet
interrogatoire qui commençait à tourner à son désavantage. Il détestait
par-dessus tout se retrouver acculé et ce mal de crâne l’empêchait de réfléchir
correctement. C’était son instinct qui l’avait précipité ici, guidé par la peur
de perdre le seul membre de sa famille encore en vie. Mais ça bien sûr, pas
question de l’avouer à la principale intéressée. Il avait une image à tenir que
diable ! L’esprit tournant à cent à l’heure, il sortit la première excuse
qui lui passa par la tête.
« Justement
en parlant d’activités douteuses, j’ai besoin que tu me rendes ce que je t’ai
confié.
- Quoi ?!
- Mon cristal
du Cruxis Sélès, il me le faut et tout de suite.
- Non mais
j’hallucine ! Et c’est pour ce caillou que tu as foutu le bordel chez
moi ? explosa la jeune fille.
- Ce caillou,
comme tu dis, est la preuve de mon statut d’Elu et pour mener à bien une
mission de la plus haute importance, j’en ai besoin.
- Alors c’est
uniquement pour ça que tu es venu… ? J’aurais du m’en douter… J’ai été
bien idiote d’espérer le contraire, murmura doucement Sélès pour elle-même.
- Hein ?
De quoi ?
- Non,
rien ! répliqua la rouquine, hargneuse, en relevant le menton d’un air de
défi. Oh, bien sûr je ne doute pas un instant que cette « mission »
est prioritaire et doit relever au moins de la sécurité nationale! Laisse-moi
deviner, elle doit comporter froufrous, jupons et dentelles ta mission de la
plus haute importance, non ? Comme d’habitude remarque… »
Le ton était
cinglant et sarcastique.
Ainsi il n’y
avait que lui qui comptait. Sa mère avait raison… il n’y avait rien à attendre
de lui. Pourtant, elle avait tellement espéré un changement… Changement qui ne
s’était, hélas, jamais produit. Sélès sentit la rage s’emparer d’elle et gonfler
encore et encore. Elle eut soudain une envie folle de lui faire du mal, de se
venger de cette indifférence qui durait depuis des années. Pourquoi serait-elle
la seule à souffrir et à payer les pots cassés ? Après tout, il avait une
grande part de responsabilité dans cette histoire… Un petit sourire moqueur
étira son visage.
A moins que ça ne soit pour
impressionner tes nouveaux pigeons ? Ils ont mis en doute ta soi-disant
bonne foi et ton ego surdimensionné ne l’a pas supporté, donc tu viens
récupérer le symbole de tes pouvoirs ?
Zélos voulut
ouvrir la bouche pour argumenter, mais d’un geste impatient de la main, sa sœur
le fit taire.
Chacune de ses paroles était
comme un coup de poignard porté au coeur. Même si elle se trompait sur le
véritable motif de sa présence, Zélos fut forcé de constater que Sélès savait
frapper là où ça faisait mal, et en d’autres circonstances il dut bien
reconnaître qu’il y avait une part non négligeable de vérité dans son discours.
- Non, ce n’est
pas ça ? fit la rouquine avec un brin d’ironie dans la voix.
Constatant que
son frère ne réagissait pas, elle continua sur sa lancée :
- Voyons voir…
Ah, je sais ! Ça a un rapport avec cette fille que tu as ramené à l’Abbaye
ce matin.
Enfin !
Enfin, elle avait perçu une légère crispation chez son interlocuteur. Un
imperceptible froncement de sourcil était venu perturber son visage. Froncement
qu’il avait d’ailleurs très vite masqué, signe qu’il était toujours autant
maître de la dissimulation.
Sélès jubilait intérieurement.
Elle avait trouvé une faille dans l’armure et sa colère contre le jeune homme
était telle qu’elle s’empressa de s’introduire tête baissée dans la brèche.
- C’était donc
ça n’est ce pas ? Qu’a-t-elle donc de si spécial cette fille pour que tu
te donnes tant de mal ? Tu n’es pas encore arrivé à la mettre dans ton
lit, c’est ça ? D’habitude elles sont plutôt du genre à en redemander
pourtant… Et donc tu t’es dit que si tu lui exhibais ton cristal du Cruxis, elle
te tomberait aussitôt dans les bras ? Tu me fais pitié mon pauvre… Tu
crois donc que tout s’achète dans ce bas monde pour peu que tu y mettes le
prix ?
Ainsi c’est donc tout ce
qu’elle pense de moi ?... D’un autre coté, je n’ai jamais rien fait pour
lui démontrer le contraire…Mais que puis-je y faire ? Je ne sais pas me
comporter autrement…
Cette
constatation lui laissa un arrière goût amer. Ce n’était pas tellement le fait
qu’il ne voulait pas changer, c’était surtout qu’il ne savait pas comment s’y
prendre. On ne lui avait jamais appris à être autrement que cynique, méprisant,
calculateur et manipulateur. Et puis il avait bien fallu survivre au milieu de
la meute… et il préférait de loin manger plutôt que d’être mangé…
Ce soir, il
n’avait pas envie de se perdre dans une discussion sans fin sur le pourquoi du
comment, il était las et n’était pas d’humeur à la joute verbale…. C’est pour
cette raison qu’il lui servit sur un plateau le discours qu’elle avait envie
d’entendre.
- Et bien pour
te dire la vérité… oui.
- Quoi ?!
fit Sélès estomaquée devant cet aveu. Alors tu n’as aucuns scrupules ?
- Pas le
moindre, répondit Zélos. Si j’en avais eu à un moment donné, je ne serais plus
là pour t’en parler figure-toi. Le monde n’est pas aussi simple que tu sembles
le penser…
- Comment le
saurais-je ? Je ne sors jamais d’ici !
- Et qu’est ce
qui t’en empêche ? » rétorqua le rouquin.
Sélès en resta
abasourdie. Comment osait-il évoquer sa réclusion alors qu’il en était la cause
indirecte ? Tremblante de rage, elle s’efforçait maintenant de contenir
ses larmes. Elle ne voulait pas se montrer faible et s’abaisser à pleurer
devant lui. Hors de question de lui faire ce plaisir !
Pourquoi
avait-il fallu qu’il vienne jusque ici, raviver ces plaies qui commençaient
tout juste à cicatriser ? La haïssait-il à ce point ? Mais
qu’avait-elle donc fait ?
Elle avait voulu lui faire mal,
mais la situation s’était retournée contre elle, et à présent c’était elle et
non lui qui souffrait. Elle était devenue l’arroseur arrosé…et elle ne faisait
pas le poids à ce petit jeu là.
Craignant que
la situation ne s’éternise, Zélos tendit la main sous le nez de la jeune fille
en soupirant d’un air impatient. Sélès releva la tête et son frère put croiser
son regard l’espace d’un instant. Ses yeux parlaient pour elle au-delà des
mots. Il l’avait blessé. Profondément. Le temps qu’il comprenne ce qu’il venait
de voir et les implications que cela supposait, sa sœur avait déjà reprit un
visage neutre et seul le léger tremblement de sa lèvre inférieure trahissait son
trouble. Elle le poussa sans ménagement et franchit à grandes enjambées
l’espace qui la séparait de son lit. Elle s’agenouilla à terre, souleva le
matelas avant d’y glisser son bras, farfouilla quelques instant sous le regard
perplexe de l’Elu, puis en ressortit un petit coffret en bois marqué des
armoiries des Wilder ainsi que de l’Eglise de Martel. Sans un mot, elle revint
se planter devant Zélos et, les yeux rivés aux siens, lâcha la cassette à ses
pieds, un air de défi sur le visage. Le frère et la sœur entrèrent alors dans
un combat silencieux où chacun essayait d’écraser l’autre par la seule force de
persuasion de son regard, tels deux fauves prêts à se jeter dessus, narines
frémissantes et muscles bandés.
Ce fut Sélès,
qui la première, cilla, ne pouvant supporter plus longtemps d’être exposé au
courroux de son aîné. Son regard brûlant de colère l’avait pétrifié. Elle
choisit la fuite à l’affrontement direct, une fois encore. Elle n’était pas
assez sûre d’elle pour l’attaquer de front. Pas encore en tout cas. Haussant
les épaules elle ramassa son livre, retourna s’asseoir dans son fauteuil de
manière à lui tourner ostensiblement le dos et reprit sa lecture comme s’il ne
s’était rien passé.
Zélos la scruta
un instant encore, puis se baissa lentement pour récupérer le cristal du Cruxis
dans son écrin. Ce caillou lui attirait décidément bien des contrariétés…
Perturbée par
sa présence persistante, Sélès relisait pour la troisième fois la même phrase
sans pour autant en comprendre le sens.
Va-t’en maintenant Zélos…
Va-t’en… Dépêches-toi… Sors d’ici…
Les yeux fermés
et les mains tremblantes, la jeune fille priait de toutes ses forces pour qu’il
s’en aille au plus vite. Elle ne voulait pas craquer devant-lui.
Après un
moment, qui lui sembla être une éternité, Zélos consentit enfin à tourner les
talons. Lorsqu’elle entendit la porte se refermer, elle s’effondra en larmes.
À pas de loup,
le jeune homme roux quitta la chambre, non sans jeter un dernier regard en
arrière. Tout d’un coup il se figea. C’était quoi cette chose grisâtre, qui
avait dû être blanche dans les temps anciens, et qui dépassait du fauteuil de
sa sœur ? Par Martel ! Il avait la berlue ou quoi ? C’était bien
ce à quoi il pensait ? Non ! Impossible ! Et pourtant…
Il plissa les
yeux pour mieux voir. Pas de doutes possibles. C’était bien l’écharpe qu’il lui
avait donnée il y a longtemps. Il n’aurait jamais pensé qu’elle puisse y avoir
accordé tant d’importance, au point de l’avoir conservé durant tout ce temps.
Se pourrait-il qu’il se soit trompé ? Se pourrait-il qu’elle tienne
finalement à lui au moins autant qu’il tenait à elle et que tout ceci ne soit
qu’un masque de plus ? Après l’échange houleux qu’ils venaient d’avoir,
pas question de vérifier sa théorie en tout cas. Il chercherait des réponses
plus tard. Fort de sa nouvelle découverte sur sa sœur, il referma doucement sur
lui la porte. Quelque part au fond de lui, une nouvelle digue venait de se
briser.
Lloyd piquait
du nez. Il s’étira afin de chasser l’engourdissement qui le gagnait petit à
petit. Courbaturé par cette marche forcée et leurs récents combats, il fit
rouler ses épaules afin de décontracter quelque peu ses muscles endoloris.
Tout était
calme dans la grotte. Il caressa machinalement la tête blonde qui reposait,
endormie, sur ses genoux, puis se tourna vers le petit corps trempé de sueur
étendu à ses cotés. Loin d’être aussi rapides que les sorts de guérison du
Professeur, les soins d’Atsuki s’étaient pourtant révélés assez efficaces. Il
changea la compresse sur le front de Génis tout en écoutant sa respiration
sifflante. Au moins l’hémorragie était enrayée et il ne délirait plus. Les
avants bras, le torse et la gorge du petit magicien étaient couverts par une
étrange mixture verdâtre et nauséabonde, mais ces cataplasmes avaient l’air de
faire effet.
L’épéiste
soupira. Pendant combien de temps encore ses amis allaient prendre les coups à
sa place ? Quand serait-il assez fort ?
Colette gémit
dans son sommeil et Lloyd passa doucement sa main sur sa joue ce qui apaisa
immédiatement la jeune fille. Un petit sourire étira le visage de l’adolescent.
Quelle que soit la menace qui pesait sur sa tête il ferait tout pour la
protéger. Oui, tout…
Devait-il
entrer ? Telle était la question que se posait Zélos depuis une bonne
quinzaine de minutes. En sortant de chez Sélès, il avait voulut faire un petit
détour et bien sûr il s’était retrouvé, comme de par hasard, devant la chambre
de Sheena. Etrange, n’est ce pas ?
Il était là,
perdu dans ses pensées, lorsque la porte s’ouvrir brusquement sur Raine qui eut
un mouvement de recul en le trouvant subitement face à elle.
«
Zélos ! On n’a pas idée de faire peur au gens comme ça ! J’ai failli
avoir une attaque !
- Désolé
Raine », rétorqua Zélos.
Mais le ton
froid et neutre démentait fortement son propos.
« Tu
avais besoin de quelque chose ?
- Non, rien…
enfin… si, bafouilla-t-il.
- Il faudrait
savoir …», commença Raine visiblement agacée.
Puis son
expression se radoucit.
- Tu viens aux
nouvelles ?
Zélos acquiesça
lentement.
« Je peux
la voir ? demanda-t-il.
- Je ne pense
pas que ça soit une très bonne idée, tu sais. Elle est encore sous le choc et
puis là elle dort. Je lui donné un autre sédatif.
- Raine… juste
un instant…
- Bien,
soupira-t-elle après un moment de réflexion. Je suppose que je n’ai pas le
choix. Mais pas lontemps, hein ? »
La demie-elfe
ouvrit la porte, s’effaça pour laisser entrer le jeune homme puis fit signe à
Préséa de sortir.
« Merci
Raine.
- Zélos ?
- Oui ?
- Ne t’approche
pas trop d’elle. C’est un conseil. »
Puis elle
disparut dans le couloir sans que l’Elu ait le temps de creuser plus amplement
la question.
Il s’approcha
du lit de Sheena. Sa poitrine s’abaissait et se relevait au rythme lent et
régulier de sa respiration. Son visage de porcelaine était détendu et au creux
de son cou reposait un amas de fourrure auquel le jeune homme ne prêta guère
d’attention. Elle avait l’air si sereine en cet instant. Qui aurait dit qu’elle
venait de se faire agresser quelques heures plus tôt…
Sheena grogna
dans son sommeil et se retourna face à l’Elu de Tésséha’lla, la bouche
légèrement entr’ouverte invitant à la découverte de contrées encore
inexplorées. Hypnotisé par ces lèvres rosées, qu’il devinait sucrées, le jeune
homme ne put s’empêcher de tendre ses doigts vers tant de douces promesses.
Bien mal lui en prit. Aussitôt qu’il eut esquissé un geste en direction de la
belle ninja endormie, un tourbillon de poils, surgi d’on ne sait où, se dressa
devant lui, toutes griffes dehors, feulant et crachant.
L’intervention
de la créature n’eut pas raison du sommeil de Sheena, imperturbable puisque
encore sous l’effet du sédatif administré par Raine. L’Ishkal, car c’était bien
lui, dardait sur Zélos ses yeux perçants, réduits à deux petites fentes jaunes
sous l’effet de la fureur, le mettant au défi de s’approcher davantage. Un vrai
petit diable hors de sa boite. L’Elu, quelque peu décontenancé, recula d’un
pas.
- Ne
t’inquiètes pas, je ne vais pas lui faire de mal, tu sais.
Et voilà qu’il
parlait maintenant à un vulgaire animal, certes plus ou moins magique, mais
bon, animal quand même. De mieux en mieux…
- Comme si tu
allais me répondre, fit Zélos après un instant de silence. Je suis ridicule,
vraiment.
Un petit
sourire moqueur étira son visage et il avança d’un pas conquérant vers le
lit…pour être aussitôt projeté à l’autre bout de la pièce ! Il se releva
en grimaçant. Il avait heurté violemment une commode en bois et sentait encore
les poignées en cuivre s’enfoncer entre ses côtes. Décidemment, ce n’était pas
son jour aujourd’hui !
Il contempla
l’Ishkal, tranquillement assit sur le ventre de l’invocatrice endormie, et le
bouclier magique qui les entourait tout les deux tandis qu’il se massait le
dos. Visiblement la barrière de Mana était de son fait, il était impossible que
cela vienne de Sheena, elle n’avait pas bougé d’un pouce.
- Très bien,
très bien. J’ai compris. Je regarde mais je ne touche pas, finit par dire Zélos
en levant les mains devant lui en signe d’apaisement.
Et comme si
elle avait compris ces paroles, la créature abaissa le bouclier, puis retourna
à petits pas se nicher contre le cou de Sheena, sans pour autant cesser de
fixer le jeune homme roux de son regard pénétrant.
L’Elu se laissa
glisser le long du meuble en bois qui avait amorti son vol plané et se prit la
tête entre les mains. Mais que faisait-il donc dans cette chambre à s’enquérir
de la santé de cette fille ?
Cette fille…
Zélos soupira.
En l’espace de quelques heures, il avait fait plus d’un écart à la ligne de
conduite qu’il s’était imposé. Alors qu’il avait pris la décision de s’éloigner
de tout ça afin de se concentrer uniquement sur son objectif, à savoir
conquérir sa liberté par des moyens plus ou moins douteux, le voilà revenu à
son point de départ. Cette chambre. Ou plutôt, cette fille justement. Sheena.
Tout ça à cause
d’elle… tout ça pour elle… . Finalement, elle était une menace pour lui. Mais
quelle délicieuse et troublante menace. Oui, une menace qu’il préfèrerait de
loin tenir contre lui…
Zélos s’ébroua.
Il tournait en rond et cela ne servait à rien. S’il y avait une décision à
laquelle il devait se tenir dans sa vie, c’était bien celle-là. Plus question
de faire marche arrière à présent. Il s’était trop aventuré sur le chemin de la
trahison et des faux semblants. Peut être qu’en d’autres circonstances, il
aurait fait demi-tour à temps mais aujourd’hui il était trop tard. Il soupira à
nouveau, résigné.
Et bien, qu’il en soit ainsi… et
advienne que pourra ! Il se releva péniblement, le dos voûté par le poids
de sa propre culpabilité et des derniers doutes qui venaient l’assaillir.
Avait-il eu raison ? Avait-il fait le bon choix ?
Il balaya d’un
revers de main toutes ses interrogations. Il avait maintes et maintes fois
passé en revue tous les scénarios possibles, et la proposition de Yggdrasill
était bien trop intéressante pour être ignorée. Il voulut à nouveau s’approcher
du lit et aussitôt l’Ishkal releva la tête.
- Oui, oui je
sais ! De loin…, grogna le jeune homme.
Amour ?! Tiens donc, un
nouveau mot dans son vocabulaire… Etrange que cela lui soit venu comme ça,
presque naturellement. Mais que lui arrivait-il donc ? Etait-il si faible,
si vulnérable, si… pitoyable lorsqu’il se trouvait à proximité d’elle ? Le
troublait-elle à ce point ?
L’Ishkal avait
à présent fermé les yeux, et un bruit sourd et régulier s’éleva du fond de sa
gorge, tel un matou ronronnant de contentement. Cette sonorité, basse et
envoûtante, eut pour effet de calmer Zélos, tendu par sa prise de conscience
nouvelle, et qui se sentait à présent étrangement serein. Perplexe, il observa
la petite créature, et bien que n’ayant aucune preuve matérielle, il était
persuadé que celle-ci était la cause de son apaisement. Réagissait-elle aux
sentiments des personnes qui l’entouraient ? Il n’aurait su l’affirmer. Ce
genre de manifestations extrasensorielles, c’était le domaine de Raine ou de
Colette, pas le sien.
-Adieu donc…,
souffla-t-il en jetant un dernier regard à Sheena.
Puis il tourna
prestement les talons et sortit de la pièce au moment où la demie-elfe,
talonnée par Préséa, entrait.
_________
Le râteau de Zélos, épisode II :
Sheena grogna dans son sommeil et se retourna face à Zélos, la bouche légèrement entr’ouverte invitant à la découverte de contrées encore inexplorées. Hypnotisé par ces lèvres rosées, qu’il devinait sucrées, Z ne put s’empêcher de tendre ses doigts vers tant de douces promesses.
Z s’approche du lit.
Une explosion retentit et S disparaît dans un nuage de fumée tandis que l’Ishkal saute à la gorge de Z.
Z : Mais tu vas me lâcher sale bête ?!
Un éclair de sadisme brille soudain dans les yeux de l’Ishkal qui projete Z par la fenêtre grâce à la seule force de son mana.
Z (petit point disparaissant à l’horizon) : Vers l’infini et l’au-delà [1] ! La team Zélos s’envole vers d’autre cieeeeeeeeeeeeeeeeeux !
Ting ! (Z est devenu une étoile brillant au firmament)
A la place de S on peut voir le mot suivant sur le lit : « Même joueur, joue encore ! »
Naikkoh : Allez, Z, la prochaine fois ça sera la bonne !^^
[1]Réplique de Buzz l’Eclair dans Toy Story
[2]Réplique de la Team Rocket dans Pokémon.
Y a pas à dire, je m’améliore dans mes références moi xD ! Bientôt le monde des Bisounours et les Telletubies ? :p
Allez au prochain chapitre en espérant que je ne vais pas mettre 6 mois à le pondre celui là !^^